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J'accuse l'école rombière de gâter les mômes (bis repetita...)


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#1 J.G. Mads

J.G. Mads

    J.G. Mads

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  • Une phrase ::Sans haine ni espoir.

Posté 21 avril 2018 - 10:28

Depuis plus de quinze ans je travaille à l’usine qui fabrique les imbéciles du futur proche. Ma spécialité : l’échec. (J’allais écrire « le sabotage » mais force est de reconnaître que, à part ma santé, j’ai pas réussi à saboter grand’chose.) Le collège est une péquenaudière. On y castre les coeurs, on y constipe la curiosité, on y sournoise les âmes, ratatine l’espièglerie jusqu’au nihilisme. Bagne où les gamins concassés perdent quatre ans pour ressortir avec le QI d’une boîte de conserve. La dèche emporte ces damnés cancres qui n’écoutent point leurs maîtres. En savent-ils assez ! Conseils au cul ! Vive la paresse ! Ils fanfaronnent gaudriolent ah ça les fait ricaner "le courage ou la mort-vivance ?"... Comment les faire progresser ces clients confortablement englués dans le sentimentalisme factice, réfractaires à l’ennuyeuse analyse, hostiles à l’horrible Beauté, ennemis de la trop sévère Vérité ?

Mes latinistes, qui ne veulent pas tous remplacer le pape François, ne se lassent de me le demander : « À quoi ça sert le latin ? » – Je remarque que le collège s’est transformé en gigantesque AUTO-ÉCOLE où on leur fait religieusement passer de longs examens sur le code de la route, à la suite de quoi ils obtiennent des permis obligatoires pour circuler en deux-roues… parce que tout cela est très utile. J’observe que le collège s’est mué en gigantesque HÔPITAL MILITAIRE où on les initie au secourisme (exercices, examens, diplômes…), où on les prépare à affronter les incendies, les attaques nucléaires et les terroristes parce que c’est très utile. Je constate que le collège fait appel toute l’année, pour les quatre niveaux, à d’innombrables INTERVENANTS EXTÉRIEURS chargés de leur expliquer un tas de trucs très utiles : flics, pompiers, gendarmes, moniteurs de trottinette, éducateurs, juges, psychologues, infirmières stagiaires, chefs d’entreprises à la gomme se succèdent pour les prévenir... Bien, tout cela est très, très utile. Mais le latin ? – Déjà, les enfants doutent de l’utilité du cours de français : ils n’ont pas attendu le professeur pour faire usage et merveille de leur langue. Pas facile d’enseigner l’incompréhensible à de tels savants. L’enseignement du latin est utile pour résister à la dictature utilitariste justement. À foutre du marché de l’emploi ? Je fabrique des individus libres et forts, moi, pas des moutons de Panurge.

J’affirme que les mentalités des enseignants au collège posent problème. Au nom de l’égalité et de l’équité (réputées républicaines et démocratiques), l’élitisme (réputé aristocratique) y est proscrit par ces partisans de l’éducation sans douleur qui affaiblissent intellectuellement les nouvelles générations en les privant de tout effort, rigueur, oxygène, exigence, progrès authentique. C’est l’idéologie gnangnan qui domine, l’idéologie grand-merdisante j’appelle ça. Plus le niveau est bas, moins tu exclus de mômes... joli principe ! Ambition ultra magnifique ! Car tous mes collègues rombières hommes et femmes ont absolument horreur de l’exhaustivité. Horreur de la précision. Horreur de la complexité. Ils n’aiment que le gros pré-mâché vague. On ne doit pas se distinguer, d’après eux, l’orgueil est un vilain défaut, etc. Ectopléonasmes ambulants qui n’aiment que la poésie poétique, ils infantilisent les enfants. Ce maternage dont ils se rendent fièrement coupables maintient les gamins dans l’ignorance et contredit le mot même d’ÉLÈVE qui devait pourtant les inviter à viser un peu plus haut.

Or l’ascenseur social fonctionne à l’élitisme, pas le choix ! Il s’agit d’entrouvrir les lourdes d’airain de la culture classique aux volontaires de toutes extractions. C’est le merveilleux cauchemar mythologique qui attire les Sixième dans mes larges filets gréco-latins, pas l’étude de la grammaire.

Or, globalement, l’ouverture culturelle phagocyte l’apprentissage linguistique : on ne peut pas tout faire. Il faudrait terroriser ou assommer les kids avec leurs leçons de grammaire pour qu’ils les retiennent vraiment, et personne n’a envie d’en arriver à de telles extrémités. Il faudrait deux à trois fois plus d’heures. On fait naufrage en ménageant la chèvre culturelle et le chou linguistique. La plupart ne poursuivront pas l’option au lycée : tous les petits bonheurs cumulés, glanés, ne pèsent plus rien en regard de ce constat d’échec. C’est le mien, du moins. Le chemin est très, très joli, fructueux, mais sans issue, car ils se lassent de mémoriser les déclinaisons, les conjugaisons, etc., le vocabulaire… de cette langue écrite et enterrée.

Je sais des collègues plus habiles qui obtiennent de meilleurs résultats que moi : ils les corrompent par les goûters, les péplums, les jeux, les sorties, les voyages… Bah ! Revenons sur ce « chemin très joli » : trois années d’humanités qui, quoi qu’il en soit, nourrissent considérablement les élèves. J’ai tout le loisir d’observer et de mesurer leurs progrès, et je ne crains pas d’en attribuer l’origine, au moins pour une part, au cours de latin.

Prenons les guillemets autour de « race », en voilà des pincettes en or qui mériteraient l’article. Je me sers à mains nues de ce mot tabou, en général, pour en réfuter le concept. Eh bien, pour l’enseignement du latin, on dirait que c’est pareil : mon cours sert moins à glorifier les anciens fétiches qu’à remettre en cause les représentations, structures et valeurs dont nous avons hérité. Comme mon boulot consiste à les affranchir, ces gosses, je leur explique notre dette historique, morale, philosophique, artistique, littéraire, etc., en la critiquant sous toutes les coutures.

 

♦♦♦

 

(Aucune vie humaine ne vaut plus qu’une autre, fût-elle savante ou innocente.)

Ne pas réduire, pour commencer, l’intelligence à la maîtrise d’un ou même plusieurs domaines. Quelque aptitude particulière ne suffit pas à définir ce vaste savoir-faire tonique et sensible qu’on nomme l’intelligence. Et le pauvre n’est pas plus sympa que le riche, ni plus con que la moyenne : il est bien né s’il est bien entouré. Le collège, dont le but est d’accroître autant que possible l’intelligence des petits entre 10 et 14 ans justement, a mille fois raison de combattre la ségrégation sociale, pas scolaire. Les « paresseux-imbéciles » mal entourés qui représentent environ 20 % des gosses, les « paresseux » qui ne veulent pas fournir les efforts nécessaires et les « imbéciles » qui ne le peuvent pas, requièrent d’après moi une prise en charge adaptée, au moins temporaire, afin que tous les autres (80%) puissent bénéficier d’une éducation digne de ce nom.

Si la misère n’est pas propice au développement de l’intelligence, elle n’est pas rédhibitoire non plus. Les « paresseux-imbéciles » n’ont pas qu’une seule origine sociale. À quoi voit-on que notre système éducatif est pauvre, lui aussi ? À tout l’argent qu’on lui demande d’économiser. Le « collège unique » est un concept républicain qui ne coûte pas cher – en apparence seulement ! En réalité, ce que la noble Mixité nous offre d’une main généreuse, Elle le reprend largement de l’autre, car il y a beaucoup plus de personnes intelligentes à devenir stupides que l’inverse.

La mixité sociale nous élève et nous renforce autant que la mixité intellectuelle nous dégrade et nous affaiblit.

Aussi quelle ne fut pas ma déception, à deux mois d’intervalle, d’entendre mes collègues (lors d’une assemblée générale) puis mes confrères (lors d’un séminaire de Lettres classiques) employer le mot « élitisme » dans un sens péjoratif… Bah ! Je souhaite maintenant fêter l’anniversaire de ce brave nom commun : un demi-siècle... Je débouche un bon Robert 93, et là surprise !

 

ÉLITISME n. m. (v. 1967) – Politique (de formation, de gestion) visant à favoriser et à sélectionner une élite, au détriment du plus grand nombre. Il faut renverser l’esprit de notre enseignement qui souffre de la maladie de l’ « élitisme ». (Le Figaro, 1967) Voir aussi mandarinat

 

Le synonyme final comme l’exemple édifiant et la définition suspecte qui précèdent sont bien péjoratifs, mais le nom « élitisme » non. (Pas encore, du moins. Je me demande pour combien de temps. Je me demande combien d’autres mots français sont nés ainsi avec une mauvaise étoile. Je songe au noir destin de l’adjectif « glauque »…) Ici « au détriment » prête à confusion, en effet, puisqu’il laisse entendre que cette « politique » désavantagerait de fait « le plus grand nombre ». Sauf que celui qui n’a pas été choisi n’est lésé que s’il méritait d’en être. (Nous connaissions déjà le problème avec la « discrimination », cette noble faculté récemment travestie en crime.) Qui « mérite », donc, d’étudier le latin et le grec ancien ? – Actuellement, les seuls élèves volontaires... ce qui fâche les puissants ennemis de l’élitisme qui y voient l’exclusion du « plus grand nombre » ! On devine pourtant ce qu’ils pensent de ces absconses vieilleries qu’ils aimeraient voir remplacées par des disciplines un petit peu « plus utiles ». Bref. Les contempteurs de l’élitisme ont gagné les dernières batailles (en témoignent nos efforts désespérés désespérants pour proposer à nos jeunes « clients », à présent, des séances « LCA » à «  0 % d’ennui* »...) mais, comme on dit, ils n’ont pas encore gagné la guerre. Hé hé. C’est « le plus grand nombre » qui s’exclut tout seul : d’une. Est-il raisonnable, au fait, de pousser l’anti-intellectualisme jusqu’à nommer « exclusion » ce choix majoritaire de ne pas suivre un enseignement facultatif ? J’ai toujours été partisan du « latin pour tous » obligatoire, comme la philo, dès la Sixième, et de deux. Troisièmement, il existe bel un lien naturel entre l’élite (ancien participe passé du verbe « élire ») et l’option en question (du verbe latin optare « choisir ») : toutes les deux sont choisies !

Je ne désire point détailler les innombrables vertus du latin, mais insister sur celles de l’élitisme. (Je remarque, en passant, que ce système honni ne pose soudain plus aucun problème lorsqu’on parle de sport-étude.) Notre problème n’est point de former ni de fournir des élites pour la patrie, c’est ridicule, et les humanités de toute façon n’ont plus ce pouvoir depuis très longtemps. Il s’agit plutôt de faire fonctionner ce qu’on appelle l’ascenseur social, et l’élitisme représente l’électricité qui permet ce miracle : ouvrir, je le répète, en grand les portes de la culture classique, des études supérieures, y compris à ceux qui ne sont pas nés au bon endroit. Aiguiser leur esprit critique, préciser et approfondir leurs connaissances, nuancer leur pensée, développer leurs capacités intellectuelles, affiner leur sensibilité, leur compréhension, les initier à la rigueur, au plaisir de l’effort et de l’étude... Ce qui réclame des heures et des heures de cours hebdomadaires. Parmi les grands objectifs concrets il y a la version latine, par exemple, un exercice qui renvoie dans les cordelettes de l’école primaire** n’importe quelle « tâche complexe ». – Car les statistiques peuvent induire en erreur : pendant que l’on constate, ici et là, une représentation importante des classes sociales les moins défavorisées, on occulte partout l’enrichissement providentiel des plus pauvres.

Les enfants et les adolescents savent jouer avec beaucoup de profit, toutefois les adultes ne sauraient leur faire croire (trop longtemps) qu’on peut tout étudier en s’amusant. C’est, j’estime, une grave erreur de prendre au sérieux la pédagogie comme on le fait depuis des décennies ; elle n’est qu’un gadget anecdotique, une série d’astuces pour animer les cours. Le niveau universel qu’on vise, il n’est guère élevé. Quand nous devons initier ces jeunes à la complexité, le pédagogisme vient tout simplifier. On voit que les malentendus sont à la hauteur des enjeux. Il ne tient qu’à nous d’insuffler le goût de l’effort intellectuel aux nouvelles générations.

J’y ai été formé à l’âge de dix-huit ans, à la pédagogie de projet, je la connais bien. Idéale dans le cadre des loisirs, elle est un poison mortel à l’école car, à mesure que les professeurs deviennent des animateurs, les enfants réclament davantage de divertissements. Cest la réalisation approximative du projet qui devient le but, l’enseignement lui-même étant ravalé au rang de moyen, d’accessoire. Les enfants apprennent des trucs, pour ainsi dire, à leur insu, indirectement. En instrumentalisant de cette façon les savoirs, on les caricature tellement qu’on en arrive à créer de la bêtise pure. Quod erat demonstrandum.

 

* pour qu’ils aient envie de continuer l’option au lycée, aussi

** « ludus » en latin