Qui es-tu?
iguane géant des Galapagos ?,
cet Eden où t'avait conduit un navire militaire,
depuis le port de Guayaquil, quand l'armée
était seule à assurer la traversée
jusqu'aux îles
dragon de Kommodo, de Rinca, de Florés ?,
vers où tu as souvent rêvé d'embarquer,
sans jamais le faire
peu importe,
car ce monstre noir surgi soudain de la mer
et échoué là, lamentable et pathétique,
parmi l'écume et les rochers, à coup sûr
était de cette race-là,
et il t'emporte aussitôt,
passager clandestin à bord d'un trois mât
de rêve, depuis les bords de la Méditerranée
jusqu'aux lointaines contrées sauvages,
le temps, trop court, d'une de ces absences,
d'un de ces blancs imprévus de la mémoire
au cours desquels le moindre bosquet
devient la mystérieuse forêt de Brocéliande,
un geai furtif le Quetzalcoatl des Mayas,
un manoir au bord de l'eau, le Tashmahal,
l'ombre diffuse d'une haie,
le paradis secret de notre enfance,
ici, un tronc de peuplier apporté par une crue,
poli, usé, saoulé d'eau douce et d'eau de mer
et qui finira par pourrir, enterré sous le sable,
un animal fabuleux, mi-bête mi-poisson
qui aura fait rêver, par un près-midi d'hiver,
le vieil enfant qui se cache dans tout homme
cela, malgré nous, contre notre raison même,
dans notre désir fou d'enchanter le monde