"L'Hôpital"
L'Hôpital est un théâtre grandeur nature,
Tous les archétypes s'y croisent,
Chacun est, tour à tour, acteur et spectateur,
Soit de sa pièce, soit de celle d'un autre .
A l'Hôpital,
Comédie et tragédie se jouent sur la même scène,
Au même endroit, au même moment, à quelques pas l'une de l'autre.
Nous ne savons jamais à quel "acte" nous aurons à faire,
Il faut donc savoir improviser .
A l'Hôpital,
Dans les coulisses,
Les répétitions restent, néanmoins, toujours acharnées,
Car chaque pièce ne se joue qu'une seule fois,
et quand vient le moment d'énoncer sa tirade,
Il n'y a pas le droit à l'erreur .
A l'Hôpital,
La machine à café est le lieu de "l'entracte",
Les réputations s'y font et s'y défont,
Les amitiés s'y nouent et s'y dénouent .
La nature humaine peut, ainsi, s'y exprimer dans toute sa splendeur.
Mais c'est également le lieu, où, entre deux cafés,
Les décisions cruciales se prennent,
Entre deux discussions, les grands projets germent .
A l'Hôpital,
Il n'y a pas que les corps qui sont à nu,
Les âmes le sont également,
Au travers du chef âgé tyrannique,
on entrevoit parfois, le jeune homme idéaliste,
Au travers du jeune sourire angélique,
on entrevoit parfois, carriérisme et vanité .
A l'Hôpital,
Nous apprenons des leçons,
qui ne sont enseignées dans aucun livre.
Ainsi, j'ai souvent questionné l'existence des maladies et de la mort,
qui ne m'apparaissaient, comme rien d'autre, que des peines inutiles à éradiquer,
Des ombres au tableau de ma vision sublimée de la médecine toute puissante,
Avant de finalement comprendre, qu'elles ont également des vertus.
D'une part, elles rappellent aux Hommes,
leur fraternité et leur égalité intrinsèques,
au travers de l'universalité de leur mortalité .
D'autre part, parce qu'elles existent,
nous pouvons les combattre,
et c'est au travers de ce combat,
que nous sont enseignés,
Non pas, douleur et souffrance ,
mais au contraire,
Empathie, Tolérance, Respect,
Amitié, Amour, Pardon,
Et surtout,
La valeur inestimable de la Vie .
Il ne s'agit donc pas de les accueillir avec tristesse et désarroi,
Mais avec la reconnaissance qui incombe à des professeurs,
qui viennent nous transmettre leur savoir à la fois utile et précieux .
A l'Hôpital,
Médecins, infirmiers, aides soignants,
sont parfois plus aveugles et plus sourds que leur patients,
Ainsi, ils vivent au mieux dans un déni insouciant de leur mortalité,
Au pire dans un délire total d'immortalité .
Paradoxalement, c'est cette inconscience de leur propre condition humaine,
qui leur permet d'être fonctionnels et efficaces .
Comme l'Acteur, qui pour pouvoir jouer au mieux son rôle,
doit nécessairement oublier, pour un temps, l'existence de la tombée du rideau .
A l'Hôpital,
Le jeu des chaises musicales se joue en permanence,
les rôles sont interchangeables,
et ne sont jamais attribués que de manière temporaire,
C'est ainsi que le chef de service,
qui préside de manière solennelle la réunion du matin,
peut se retrouver le soir même,
sur le tableau des patients admis.
C'est également, ainsi, que le grand chirurgien,
qui mène si bien sa salle d'opération,
peut se retrouver dans l'heure,
la vie soudainement suspendue aux doigts
de ses jeunes élèves .
A l'Hôpital,
Nous croisons sur les brancards Amis, Collègues et Famille,
parfois même les Professeurs qui nous ont enseigné notre Art,
et dont nous buvions les paroles avec tant de ferveur et d'admiration.
Ces rencontres nous agitent le Cœur et l'Esprit ,
car elles nous rappellent la règle implacable de ce "jeu",
qui nous a été laissé en héritage :
Aujourd'hui, vous avez la santé et vous vous occupez des autres,
mais quoi que vous fassiez, un jour, vous serez à votre tour sur le brancard .
En effet, les maladies et la mort,
ne font point de distinctions,
Notre argent et nos titres honorifiques,
ne semblent guère les impressionner.
Et lorsque l'envie leur en prend,
elles viennent nous chercher,
sans problème, sous nos blouses,
et dans nos bureaux,
plus ou moins, bien ordonnés.
L'Hôpital,
à défaut de rendre les Hommes immortels,
les rend, au moins, philosophes .
S'il est vrai, que nos ouvrages scientifiques,
nous apprennent à ignorer consciencieusement,
celui qui nous a insufflé la vie,
la pratique médicale, elle, ne peut que nous le rappeler.
Oui, L'Hôpital est un théâtre,
En travaillant, jour et nuit,
Il est possible d'en devenir le metteur en scène pour un temps,
mais tôt ou tard le "Grand Directeur" vient frapper à la porte de notre "loge",
pour nous rappeler qu'il a toujours été, est, et sera, l'unique propriétaire des lieux.
En attendant,
C'est promis,
Nous enfilerons tous nos beaux costumes blancs,
Chacun cachera la fatigue derrière son masque le plus souriant,
et nous ferons tout pour jouer nos personnages Herculéens,
avec passion et dévouement .
Arta FEKA