elle est là, orgueilleuse et inutile ,
sur son tertre, à l'angle des deux murs,
telle une belle femme mûre au ventre stérile,
intacte, comme au sortir des mains du potier
jamais grain ni huile n'ont touché ses flancs,
elle n'a connu ni les cahots sur les chemins
quand on les emportait sur des chariots,
ni les incertitudes de la mer et les naufrages
qui ont envoyé tant de ses pareilles
par le fond
elle a attendu là, seule parmi les tessons,
sur les lieux même où on l'avait pétrie,
écartée peut-être à cause d'un défaut caché,
plutôt pour une raison obscure, inavouable,
un lien secret entre elle et son créateur,
comme l'avare qui cache son trésor,
comme on gracie le taureau après son combat,
quand il a fait preuve d'une grande bravoure
le potier des anciens temps de la Dourbie,
amant jaloux, Pygmalion épris de la créature
qu'il a créé, peintre amoureux de sa toile,
ou sculpteur de sa statue,
a sans doute enterré sa belle amphore
comme autrefois on emmurait les vierges
afin que nul autre regard ne se pose sur elles,
et lui a assuré ainsi, du même coup, l'éternité
aujourd'hui elle étale sa seule beauté,
immuable et précieuse,
avec l'insolence de qui a vaincu le temps,
seule une blessure au flanc, pour l'œil attentif,
comme une signature, atteste de son identité,
marque ténue d'une histoire, d'une vie enfouie,
rêvée plus que vécue, dans les argiles rouges
dont elle était née,
dans les âges obscurs de l'humanité