ici, dans ce vaisseau de pierre renversé
d'un pur gothique du midi, à nef unique,
un chant s'élève, limpide et déchirant,
venu, semble-t'il, du fond des siècles :
" Triste estaba el Rey David,
triste y con gran pasión,
Cuando le vinieron neuvas
De la muerte de Absalón.
. . . . . . . . . . ",*
qui emplit l'espace, jusque là silencieux,
comme le vin pur et généreux la coupe,
comme la mer, à marée haute, la plage,
de sa nappe d'eau, de sa frange d'écume
chant qui se prolonge, en éclats de verre,
dans cette nef immense et sonore,
longtemps après que la voix s'est tue,
en mille brisures de plus en plus fines,
en vibrations de plus en plus ténues,
pour s'éteindre enfin, d'un seul coup,
rendant le silence encore plus pesant
. . . . . . . . . . . .
mais, juste au delà de la maison de Dieu
et des hommes, c'est un tout autre silence,
un silence de rochers et de pierre,
un de ces chaos à ciel ouvert,
un de ces paysages sépulcral, figé,
qui rappellent la destruction de Sodome
et Gomorrhe, les lendemains du déluge
ou de l'Apocalypse, les tsunamis,
les horreurs des guerres anciennes
ou modernes, l'effondrement des mondes,
promis aujourd'hui par tous les augures,
un de ces lieux improbables mais si réels,
où le dedans et le dehors sont confondus,
où les entrailles de la terre s'entr'ouvrent
et révèlent des tréfonds insoupçonnés ,
cratères de volcan, puits sans fond,
abîmes béants, fonds d'océans taris,
lits de fleuves ou de glaciers disparus,
un monde des origines, des fins dernières,
où l'homme n'a aucune place, aucun rôle
et qui suscite l'admiration et la frayeur
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
et pourtant, au cours des siècles,
patiemment, le chêne vert et le lentisque
ont conquis ces sols pulvérulents et arides,
les troupeaux en ont brouté l'herbe rare
mais riche en thym et en aphyllante,
l'arbousier, en décembre, plein d'insolence,
mêle avec bonheur les fruits et les fleurs,
comme le paysage autour, la mort et la vie,
niant simplement ou confondant les saisons,
réconciliant l'air, l'eau, la nature et la pierre
et nous,
nous sommes là, ébahis, hésitants, séduits
par ce mélange de violence et de douceur,
envahis, malgré nous et sans comprendre,
par une impression d'étrange et de connu,
le sentiment qu'une chose irrémédiable
a eu lieu ici, dans des temps très anciens,
que nous sommes sur un champ de ruines
mais que nous assistons à une renaissance,
mais fragile, constamment remise en cause
alors,
quand nous revient la plainte du Roi David :
" Cuando le vinieron neuvas
De la muerte de Absalón
Palabras tristes decía
Salidas del corazón. " **
nous partageons sa douleur et, comme lui
nous nous plions aux dures lois d'un destin
fait de souffrances, de trahisons et de folie,
avec, au fond de nous, malgré et contre tout,
une lueur d'espoir
* Le Roi David était triste,
Triste et en grande souffrance,
Quand lui vinrent les nouvelles
De la mort d'Absalon (son fils)
. . . . . . . . . . . . . . . . "
**. . . . . . . . . .
Quand lui vinrent les nouvelles
De la mort d'Absalon,
Ils se répandit en paroles tristes,
Sorties tout droit de son coeur.
Rem. : pourtant, Absalon s'était dressé en armes contre son père, pour lui ravir son trône