La forêt ouvre son calme plat
À qui veut bien le voir, l’entendre, le sentir,
Goûter ses herbes folles et ses arbres centenaires
Toucher ses arbrisseaux fébriles et ses chemins de terre.
Une rangée d’arbres infinis entoure ses pas ;
Des arbres
Des arbres à perte de vue.
On est en pleine hiver, mais le Soleil étincelle doucement
Sur les branches effeuillées au fin fond du firmament
Qui ronflent gentiment
Facilement
Aisément
Comme agitées par la grâce.
Ces mastodontes sylvestres sont fatigués,
Vieillards
Usés par le froid
Usés par le chaud
Usé par le choix
D’être immobilement clos.
Mais sans eux,
Le sentier est plaine
Le spectacle est commun ;
Leur sacrifice est d’autant plus noble
Que
Leur beauté brûle dans le Soleil hiémal.
Un vieil homme, traversé par les années, sage comme le monde, calme comme les bois chantants
Est debout, là, sur le chemin.
C’est un esprit imposant,
Excessivement haut
Excessivement large
Mais remarquable par sa simple légèreté.
Toutes les balances du monde ne verraient que des poussières
Quand tous les hommes du monde y voient un univers.
Il vient caresser les cimes glacées par les vents désoxygénés
Masser les troncs fatigués par le poids de la Terre sous leurs pieds.
Il redort la forêt de ses pansement vitaux
Et fait d’un chemin une allée fabuleuse.
On pourrait presque déloger
Dans chaque recoin
Une fée, une nymphe
Un homoncule ou un lutin
Et du bout des neurones
Le centenaire les dirigerait.
Il se décide à ouvrir son cœur
Et il le pose près du plus grand arbre de la plus grande forêt.
Le plus fort tronc garde les plus forts secrets
Et vous n’aurez pas d’indices, pas d’heure
Pas de couleur de ce présent.
L’arbre sage et vieux comme le monde
Sourit de ce cadeau informe
Et dit :
« Que me vaut l’honneur
Du plus grand des trésors
De si grande valeur
Que l’homme en décore
Jusqu’à ses millénaires fresques,
Et ses poèmes heureux,
Et ses douces arabesques
De ses temples fameux ?
Que ferais-je, moi
Du souvenir hideux
De l’amour coi
Du sentiment preux ?
Je ne suis qu’un centenaire
Qui ne peux se défaire
De ses racines substantielles
Qui relient Terre et Ciel.
- Tu ne feras rien, répondit le sage
Tu seras imposant et respectueux
Pour que jamais un fou ne saccage
Mes pertes et mes jeux »
Alors, peignant ce tableau agréable
Je vis subitement les vieillards faire leur échange ;
Ils semblaient toucher du doigt
À la vérité
Au secret de l’homme
De la nature,
Des vieux et des jeunots
Qui, par leurs âges fluctuants
Ne restent qu’un temps.
Je crois l’avoir entrevu à mon tour
Le secret, le trésor si bien enfoui
Entre les herbes et les brumes, oui
Mais je choisis finalement de laisser là, au milieu du chemin
Ma toile, mon pinceau et ma volonté ;
Je ne recopierai pas cette beauté
Ce sage déclin
De mes pigments vils
Je le garderai au contraire
Toujours au fond de mon cœur
Au fond de moi je sais
Que je vieillirai
Et bientôt j’irai voir l’immortel
Et lui donnerai le cadeau d’une vie qui se sait ;
Là, à moitié usé
Entièrement centenaire
La vérité ne me semblera plus si loin.