Aller au contenu

Photo

La révolte du verbe aimer

Prose poétique/ poème

  • Veuillez vous connecter pour répondre
6 réponses à ce sujet

#1 Chambon

Chambon

    Tlpsien

  • Membre sympathisant
  • Pip
  • 1 messages

Posté 28 février 2020 - 09:20



Je suis le cri silencieux de l'impuissance, le fil ténu qui relie le nous à l'absence.
Le mot têtu qui s'empare de la virginité du carnet.
Murs constellés de souvenirs, étoiles mortes au zénith de l'éxit, sur le pavé du mauvais temps, peigné par un balai de vent.
Je suis un mot, un verbe me direz-vous. Vous m'utilisez pour tout, pour rien, pour un gâteau, une fleur, pour un humain.
Taillable et corvéable, à la merci de vos envies.
Je vogue de bouches à bouches, de lèvres à lèvres,de feuilles à feuilles, de seins en sexes, jamais les mêmes.
De vos bouches, j'en ressors gluant, mastiqué, estropié, croqué à pleines dents, origami de vos désirs avides.
Repus, vous m'abandonnez pour courir vers d'autres rives, escalader d'autres versants.
Et moi, je suis incarcéré dans une boîte en fer ou en carton, coupé du monde. À nouveau orphelin. Je deviens source de rancur, de colère et de cris. De larmes, et puis...
J'étouffe dans cette boîte, mais l'autre me garde jalousement comme un trésor de papier.
J'suis pas une pute.
Je suis libre.
Je veux pas de barreau, et vous m'emprisonner entre les lignes de vos cahiers. Je me blesse, ça m'entaille les ailes. Mes couleurs se fanent. Je deviens fou. Mes lettres se chamaillent.
Je veux m'envoler
Je veux échapper à votre gourmandise,
Je ne suis pas une friandise.
Je suis un papillon, rare, espèce protégée.
Mes geôliers changent si souvent, que j'en ai le tournis, dans ces vertiges des amours désabusés.

Celle-ci parfois entrouvre la boîte, me prend entre ses doigts humides de la pluie du passé qui me donne le frisson. Comment peut-on m'infliger cette peine. Je respire à pleins poumons. Je dégourdis mes cinq lettres ankylosées par des années de détention. Arbitraires.
J'étire mon A, ça coince un peu aux articulations.
Je gratouille mon M pour le réchauffer, lui donner envie de s'extirper de son cachot obscur.
Mon O tourne en rond, comme une roue tourne à vide, se déplie lentement pour former un anneau, comme ceux que l'on passe à l'annulaire de l'instant.
Mon U se contorsionne, fait la mauvaise tête, il n'a plus envie de jouer ni se casser la tête. Mon U voudrait faire sa mue.
Mon R semble heureux de cette liberté qu'il ne voudrait pas provisoire. Il étire ses pattes.
Un instant, je crois qu'elle va vraiment me libérer. Elle me contemple comme si c'était la première fois. Elle me tourne, me retourne. Mes lettres s'agenouillent. Enfin je respire.
Puis elle m'allonge, je me repose. Je m'assoupis.
J'ai été son soleil, le temps d'une moisson. Me Voila son nuage, obscurcissant sa nouvelle saison.
Mais non, elle me replie en quatre et me jette dans l'obscurité de la boîte rose aux petits curs délavés. Je suis à nouveau au cachot, elle aurait du me rendre ma liberté.

Celle-la écrit le premier mot d'un serment qu'elle ne pourra tenir, son regard est maquillé d'étincelles. Elle est dans l'instant, la pulsion, le désir.
Me revoilà du convoi "Je t'aimerai toute ma vie" comment peut-on hypothéquer ses années à venir. Comment peut-elle être sûre? Elle s'engage, j'en rage. A cet instant elle y croit,
Croix de fer,
Croix de bois.
Elle me plie, Aie mon O se fend en deux à la phalange de la feuille. Puis, me glisse dans une enveloppe rose aux senteurs d'aubépine. Je vais transiter, me faire écraser par la machine à oblitérer qui apposera la date de naissance de cette histoire de vent.
Et lui, comment la recevra-t- il ?
Il me classera sans suite, dans les archives des curs lassés, blasés, écrasés des amants tumultueux.

Je suis un mot. Je suis un verbe.
Je vous hurle, je suis un être vivant.
Je suis le lien, la sève, le germe. La liane. Je voudrais relier les êtres humains.
Je suis un verbe, pas votre sujet.
Vous jouez avec moi comme le chat avec la souris. Vous me conjuguez à tous les temps. Je suis dépassé.
Je suis souvent juste l'instant, quand prononcé du bout des lèvres pour accrocher une épaule, des lèvres, un sein, la cambrure des reins. J'étanche votre soif, votre désir, votre plaisir.
Vous m'utilisez comme une issue favorable jusqu'au lendemain matin.
Vous me délaissez aux premières lueurs de l'aurore, après le leurre des heures sournoises.
Je suis un verbe du premier groupe. Mes aïeux sont latins.
Amare.
Je peux me travestir
en adjectif, aimable,
en nom plus que commun, amant,
en mot voisin, aimant, qui s'attire ou se repousse.
Je m'acoquine parfois avec l'auxiliaire avoir pour parler d'un autre temps.
J'ai aimé, rarement avec l'auxiliaire être qui peut dire : Je suis aimé. Pas grand monde.
Je peux à moi tout seul constituer une phrase. Tout y est. Le sujet, le verbe, le complément. Sept lettres suffisent. Sans fioriture, sept lettres qui engagent. Je suis la sobriété

Parfois qu'est ce que je voudrai être oublié, remisé, gommé du glossaire des gens peu scrupuleux.

Lui, parfois me réveille en sursaut, laisse glisser sur moi son regard de plomb. Ses mains tremblent de souvenirs? De colère ? Il me prend sans précaution comme si j'étais coupable.
Il me froisse, me malmène, m'écrase sur la table. Je ne suis rien qu'un verbe couché sur du papier. Mon cercueil c'est cette feuille toute ratatinée.
Son histoire, je la connais.
Il rôde encore un parfum de tubéreuse sur la petite feuille où sa moitié, un soir de neige lui a laissé ce petit mot emmitouflé.
Je voudrai bien qu'il me dépose sur la table de bois blond, délicatement, pouvoir avoir des sensations, le chaud, le froid, le vent. Frissonner, vibrer, m'ébrouer, me sentir vivant.
Deux ans de captivité !
Mais le voilà qui s'énerve, me roule en boule et me projette sur le mur que je percute de plein fouet. J'ai mal un peu partout. Fractures. Vais-je survivre .
Est-ce ainsi que les verbes meurent ? J'essaie avec mon M de décrisper la feuille.

Celle-ci m'émeut, lorsqu'elle m'extirpe délicatement d'entre deux livres poussiéreux. J'éternue silencieux.
Ses cils tremblent comme un pistil bousculé par le vent, de la rosée perle sur sa joue.
Elle, j'aimerai lui sauter au cou, lui murmurer près de l'oreille que tous les verbes sont mortels, quand on en use sans précaution.
G C
Fracas de maux 24/02/ 2020

#2 Laurence HERAULT

Laurence HERAULT

    Tlpsien +++

  • Membre sympathisant
  • PipPipPipPip
  • 2 523 messages
  • Une phrase ::Notre monde a besoin de plus de poésie
    Mais si l'on cherche bien, elle se niche partout.
    Il y a des fleurs sauvages au pied des grandes tours
    Et le chant des poètes embellit notre vie.

Posté 29 février 2020 - 12:34

Très original !

 

                                                                         ...Je suis le lien, la sève, le germe. La liane. Je voudrais relier les êtres humains.

 

 

 

Je prends les devants, M. de Saint-Michel n'étant pas encore passé par-là, et vous souhaite la bienvenue sur TLP ! :-)



#3 hasia

hasia

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 1 774 messages

Posté 29 février 2020 - 04:39

Telle 'une esquisse douce' mais ô combien fine, 

cette mise à distance très pointue de se qui fonde chacun de nous,

nous relie et nous donne cette exigence impérative du vivre, en toute conscience, en toute liberté voire révolte,

m'interpelle.

 

"Fracas de maux" comme un frisson à l'ancre d'un spot qui déboulonne, chahute, bouscule, malmène, froisse, remue, dépose

l'homme sur la crête tumultueuse de l'instant submergé en la Vague du temps, 

au plus fort de ses assauts impérieux

et à l'insu du respir de liberté nécessaire, clair, exigible, exigé... 

 

"En toute sobriété", atteindre l'acmé du ressenti créateur de l'être en soi à l'oeuvre, se trouver, re-trouver 

la sensation         _Toute_ 

vive et accordée au silence de son intime...

 

Presque, paradoxalement, n'est-ce pas l'indignation sourde d'un coeur aspirant à un ordre?

 

 

 

Jolie - fresque - du mot aimer

      

 

 au poète,

 

 

hasia


Modifié par hasia, 29 février 2020 - 05:34 .


#4 Leclère michel

Leclère michel

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 882 messages

Posté 29 février 2020 - 05:19

Bienvenue sur cette page qui attend vos mots . TLP

 

L'Amour tout un programme,  :)

 

Amicalement LM

 

 

 

Merci  Hasia pour cette lecture facile



#5 Hattie

Hattie

    Tlpsien +++

  • Membre sympathisant
  • PipPipPipPip
  • 6 142 messages

Posté 29 février 2020 - 07:05

Tout particulièrement captivée par ‘ tous les verbes sont mortels ‘ tel(le) une vigie, une conjugaison de la vie.



#6 Emrys

Emrys

    Ambrosius

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 3 170 messages

Posté 29 février 2020 - 08:05

Un verbe que j'emploie avec prudence...

 

(en espagnol pas moins de 3 verbes amar gustar querer :)



#7 M. de Saint-Michel

M. de Saint-Michel

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 13 257 messages
  • Une phrase ::Je suis quelqu'un pour qui poésie et respiration ne font qu'un.

Posté 29 février 2020 - 01:54

Brillant et profond...

(Le verbe "aimer", peut-être le plus prosttitué de notre langue, tant il est mis à toutes les sauces...)