il gisait là,
gros bloc de rocher erratique
ou sommet émergeant d'un volcan
enfoui dans les sables,
au magma refroidi depuis longtemps,
on ne sait, perdu sous la mer, oublié
dans sa solitude,
bercé par les courants,
caressé par les algues flottantes,
abri d'un jour pour les langoustes
en pèlerinage vers les profondeurs
ou de retour vers la côte,
au temps du frai de printemps,
et parfois l'ombre immense, sournoise,
d'une raie léopard
en compagnie de son poisson pilote,
qui vient égayer des nuits
et des journées mornes,
désenchantées
. . . quand un jour,
une murène ondoyante et silencieuse,
se glisse dans une anfractuosité
providentielle de la roche qui, peut-être,
lui était destinée de tous temps
et vient ranimer enfin ces fonds marins,
la tête émergeant de sa grotte
telle une jeune femme au balcon,
belle et inquiétante, bouche ouverte
dans un bâillement ennuyé
ou comme pour un baiser de mort,
découvrant fièrement ses dents-aiguilles
à l'intérieur de ses lèvres nacrées
sous sa puissante caresse de velours
qui réchauffe son corps de pierre,
le rocher qui n'était qu'un caillou poli,
un simple accident dans le désert
qui devait se déliter, s'effacer peu à peu
pour enfin disparaître à jamais,
se couvre d'algues et de corail,
d'anémones de mer et de gorgones,
devient île, continent vivant, habité,
qui retient le regard des requins
désormais, des orques et des phoques,
excite la curiosité des barracudas
immobiles, dérivant dans les courants,
pensifs, des bancs de carangues bleues
se déployant comme un étendard
un rêve de paradis perdu
un monde qui attire ou effraie peut-être,
mais désormais
promis à une nouvelle vie
de plaisirs, de joie et de souffrances,
d'attentes, d'espoirs souvent déçus,
d'aventures heureuses et de tragédies,
d'amours, de promesses, de trahisons,
un destin ordinaire et inouï,
un vrai destin terrestre,
. . . enfin