Tous les spécialistes consultés ont été explicites à ce sujet : le traumatisme provoqué par la mort soudaine d'un très jeune être aimé d'une manière tout à la fois platonique et fusionnelle, peut être à l'origine de l'apparition d'une maladie telle que la leucémie. L'inconcevable absence luit dans le sang comme un feu de cinabre. Il y a partout dans ce monde, quel que soit l'endroit où le pas est porté, quelle que soit l'épaisseur humaine qui puisse environner, il y a partout dans ce monde une lacune, une trouée qui a l'exacte forme lucide de Celle qui n'est plus de ce monde.
Bizheng n'a pas fait de la maladie une ennemie, un fléau, un désespoir, un abîme, et elle aura su se protéger subtilement de toutes les situations aussi bien que de tous les êtres qui, volontairement ou étourdiment, auront commencé à l'entraîner là. La déficience leucocytaire frayée dans sa complexion lui aura été immédiatement le chemin de retour vers l'amie, ou l'amour d'enfance, le voyage de retour vers LIN.
L'un des livres de chevet de Bizheng était l'Odyssée d'Homère. On peut y lire ces mots : 'La nymphe auguste allait vers son grand coeur d'Ulysse, toute prête à céder au message de Zeus. Quand elle le trouva, il était sur le cap, toujours assis, les yeux toujours baignés de larmes, perdant la douce vie à pleurer le retour !' Il ira même jusqu'à refuser l'immortalité que cherchera à lui offrir la nymphe par amour !
La sensibilité taoïste de Bizheng faisait tout naturellement dialoguer Tchouang-Tseu avec la nostalgie grecque : 'Comment sais-je qu'aimer la vie n'est pas tout simplement une illusion ? Comment sais-je que, lorsque nous avons peur de la mort, nous ne sommes pas comme celui qui, enfant, a quitté la maison et a oublié le chemin du retour ?' Comme Ulysse ayant toujours l'image de sa femme Pénélope dans l'esprit et dans le coeur, notre jeune leucémique, après la disparition de LIN, n'oubliera jamais le chemin du retour, et chaque jour en leucémie, comme chacun des poèmes proposés ici, comme chacun des poèmes du florilège publié par En hoir de Loup-de-lune le 5 juillet 2020, est un pas, pour ainsi dire tout à la fois enthousiaste et serein, confiant et assuré, sur le chemin qui la ramène immanquablement auprès de l'âme soeur...
(FG / BeV)
Afin que soit rejointe Mademoiselle LIN : Poèmes
Première partie
*
Voyage au bout de toi
abandonnés du sommeil
mes yeux s'épointent aux angles de la pièce
et puis glacial et récurrent cet instant
venu transir le sous-bois de mes os
je ne savais rien de ce qui se silence
au faîte de ta disparition
rien de ce qui s'enténèbre
à l'aune de la chair éteinte
comme levée j'aspire au piano
mais sur le bûcher d'absence a brûlé la musique
tes empreintes s'éloignent indéfiniment
dans la cendre des nocturnes
comme opiniâtre j'invoquerais le poème
si ce n'était que la fureur affole l'alphabet
et tes lèvres s'abîment indéfiniment
dans les distances des voyelles
d'où la vigueur
de la lame détournée
du poignet diligent et diaphane ?
d'où la vigueur
pour ces veines indemnes
bleu lacis de l'invivable ?
d'où les jambes avec l'ahan
d'où le courir hors la pièce hors la ville
hors l'extrême silhouette d'homme ?
quelque chose de toi peut-être
dans les clarines sporadiques des pâtures
ce serait quelque chose de ton rire
sur ta stèle ton prénom de métal forge mon rouge regard
quelque chose de toi peut-être
dans l'irréfrénable timbre du ruisseau
ce serait quelque chose de ta villanelle
à l'improviste une créature maléficie la berge
quelque chose de toi peut-être
dans l'élongé frémissement des cimes
ce serait quelque chose de ton extase
quelle nuit d'éveil sous les étoiles intermittentes
aux confins de la quête et du souffle éperdus
toute ma hurlée avec toute ta réponse
réunies au coeur en cet allegro neuf
qui d'une systole démiurgique prélude à l'albescent horizon
*
L'échappée
Polychrome et protéiforme
un instant de fantôme
parmi les voix qui débattent
sans les préfixes de l'Homme
pleurante ramée du saule imagier des vents médians
algues alenties au baiser des épaves
longue chevelure de la noyée des eaux sereines
Cette outre-lassitude
qui suppléa mur et horloge
je l'éprouve partage d'arc-en-ciel
dans les tentacules suffisants de la veille
*
Matutinale
Chienlit
des lueurs
des véhémences qui flamboient
des reflets colosses
et fouler le cuivré d'une ruine panique
ouvrir le sang
la mer des desseins
pour une vacance à notre image
pour une trouée où s'abandonne
le réflexe mâtiné de contrat
faire et penser
à leur dépouillé de silex et pyrite
dont un heurt encore
filigrane le sourire dans l'étincelle exhaustive
*
Laconismes : Oiseaux
__
pâture céleste
dans le guéret de l'azur
les corneilles se partagent
l'illusion de la lune
__
assourdissant
oiseau de jais
qui surplombes la voie ferrée
le train fracassant
a bondi
de ton cri
__
pur enfin
minuit ulule
à la gouache du bois
enneigé de lune
le frisson
me quintessencie
__
en partance
sur l'ardoise du ciel
la craie fugace des oiseaux
délinéamente un exil
__
regard céleste
grandes torches de feuillages
juste sous la voûte bleue
fissurée
d'ailes d'albâtre et de jais
la lune cornue
m'envisage avec subtilité
__
auroral
de l'oiseau le cri
révèle
le rayon premier
dans l'arbre
qui pleure
__
profond
envol du corbeau
et la chapelle s'abîme
au fond du vallon
__
escarmouche
mitraille de pluie
la corneille réplique
son croassement
__
un peu au-dessus de la rivière
avec l'eau s'en vont
tant de pensées superflues
les morceaux de ton visage
s'accrochent aux reflets végétaux
et je retrouve ton sourire
à la cime fluide
et tes cheveux de jais
dans l'éclair des corneilles
__
autre ciel
fleurs roses
en ronde au pied de l'arbre
l'antre de feuilles
s'étoile
et s'affranchit
de la loi bleue
qui lacère les nuées
qui souffle les oiseaux
__
saison musicienne
couleurs saoules de l'été
l'azur titube
sur ses jambes végétales
et de sa bouche de soleil
irradie cet air
où les cigales contrepointent les oiseaux
__
blessure céleste
cri de l'azur
percé du clocher
interminable effusion d'oiseaux
__
soir
cet envol soudain du vivant
dans la dernière pulsation
du bleu
__
joueurs
l'après-midi n'aura été
que cette convergence
vers une marelle de moineaux
à la lueur des corolles
__
griserie
ligne sinueuse des corneilles
et la vallée titube
sous la prémisse de l'orage
__
robustesse
le paon se juche
son cou sous le ciel de plomb
un abloc turquoise
__
légèreté
mon poème
oiselle de cristal
brisé
pour avoir oublié
à l'instant de l'essor
l'alphabet ineffable
des plumes
__
brèche exotique
hors le mur
convenu
tête d'oiseau
si imprévue
tu te poses
sur la carène de ma solitude
à la manière
d'une figure de proue
multicolore
miroir
des îles neuves
*
liés
insecte contemplatif
tu partages avec le passant
le parfum
de ta corolle tutélaire
*
Fenêtre
La pluie scintille dans l'herbe de mes songeries
un vieil homme traverse
une place de jeu
et les nuages nitescents
profilent sa lenteur morose
à peine son éclipse un vent inégal
de toute sa proclamation de cimes exalte
le vagabondage qui ne sait plus le temps
au ciel l'ardoise et la cendre disputent de gris
*
cimetière rouge
ici le penser ne s'égaille plus
ici les meurtrissures
reçoivent leur baume d'aval
et d'insondable proximité
une rose gironde
s'ébat à la manière d'un coeur
si près la poitrine de pierre
qu'argente et cuivre et dore ce prénom
la quintessence des soupirs fait ondoyer les grands saules
pour un horizon ton chandail rouge s'effile
accroché par les ressauts
des premières étoiles
*
Hybris
au-dessus de la montagne
que nous ne gravirons pas
ce noir haut-le-coeur
clouté d'étoiles
*
Recommencement
c'est l'homme
qui chaque nuit
dans sa lanterne
insomnieuse
préserve
un morceau du crépuscule
où s'avive
l'aurore
*
Mer
sur mes yeux
de sable
s'allument
les étoiles
de ton souvenir déferlé
*
Extase aligère
affublant l'une des saillies de la tombe
un papier
où s'est étiolée la polychromie de l'éploiement
déchirée l'alchimie compendieuse de la nue
détient le vent étonnant
son ombre
parmi le demeurant des offrandes
magique l'oiselle exhaustive
les ailes doublent
capricantes
diaphanéisent
l'essor des papillons symbiotiques
l'infime soupir sélène
pour le cercle
encharmé par les robinsonnades de la volute
ne se refermera pas
autour du bleu qui les gîte
*
Balançoire
De la croisée le rectangle hanté de pâleurs
s'attache à mes yeux à peine ouverts
suffisant luminaire
pour soleiller le risque
de l'imagerie du revoir
après si long temps carentiel
je l'entends à nouveau
la voix de la balançoire
son va-et-vient qui presse les rouilles
répète l'esquisse de la mélancolie
elle m'est rendue
distincte, derrière les volets clos
l'inflexion riche de tout le temps sableux
et je laisse son frissonnant mystère
emplir le jardin
gagner intact la maison
la chambre
se confondre avec la sentinelle de la mémoire
puisque j'ai appris que les vents
n'ont pas de ces forces-là
que les enfants du village
n'ont pas de ces intrépidités nocturnes
qui font rouler minuit sur la pente de la rébellion
que le confident désoeuvré
n'a pas de ces actes cruels
qui sursoient à l'Hadès une minute immense
que ma douleur ne maléficie pas ainsi mes sens
..................................................................................
j'abandonne la balançoire au passage de ton ombre chère
sa persévérance muée en mélodie
en prélude au prodige
Et nous sommes racontés
par une pellicule pétillante
où fulgure un aède lacunaire
dans la solitude d'écrire
une après-midi d'automne
l'amour aura sonné
brandi ton visage
le monstre se sera angoisseusement interrompu
pour se travestir en hôte
mais ta présence sans après
aura rongé masque et costume
exacerbé les affres
mes cahiers implacables auront circonscrit nos jours
j'aurai écrit notre amour cahier après cahier
Et je ne l'aurai pas vécu
jusqu'aux syllabes
de ses systoles
jusqu'aux voyelles
de ses soupirs
j'aurai détaillé ton personnage
Et je ne t'aurai pas connue
de l'emparement seul d'un trophée
la convalescence
la métamorphose
je ne serais aimée qu'en lauréate
du roman de notre amour
et tout autour du livre triomphant
il n'y aurait que le décret d'amertume
Tu te seras éloignée
de la chambre
de la maison
pour que derrière la pourpre épaisse des rideaux
croisse le monstre d'écrire
j'entendais à la brune ton corps aller
et venir
ton balancement
aura diminué
par degrés
Puis le silence
ô mes mains lunaires de silence
à en dévoiler la plume désincarnée
à en refermer le cahier
le mouvement sans personne qui va ralentissant
Mais quelle créature appelle
se perd
s'évanouit enfin
au-delà des contours du jardin
où l'absence libère ses sfumatos ?
On me dira ton escalade
de pierres comme des guisarmiers
de broussailles comme des Erinyes
l'équilibre perdu dans l'abîme non crié
le visage retourné aux possibles du sang
ô tableaux du passé
vous surgissez sans lien
et chacune de vos ruptures
me détache d'elle
.....................................................................
Renversé le vieux coffre
épand les cahiers
insondable
devient l'espace silencié
à rouvrir éperdument
le dernier d'entre eux
j'ai l'air de délinéamenter la merveille des ailes secourables
son inachèvement définitif
m'y voilà tout entière
Le déclin de la nuit
me rayonne sur la balançoire
je n'interroge pas plus avant
ni la charade d'empreintes intimidant le gazon
ni la rose brisée comme une révérence
je m'attelle à la lecture de notre amour
son écriture débleuie qui court sous la date si lointaine
*
Vorace octobre
dans les crocs
nuageux
de l'automne
le soleil
a un goût
de lune pleine
*
Solitude
Au trottoir des résurgences
glace rose
la nuit fluorescente
insiste
Toi
tu es passante
hors de l'envisagement
ta glissade consommée
à la présence confuse
tu fais toute une promesse de néon
*
Les feuilles d'automne
et fatale arythmie
mon nom
se détache
de la cime du chagrin
voyelle
consonne
par intermittence
m'épelle l'automne
en presque feux
en ors discrets
avec l'inflexion de ton silence
*
Sur l'eau
sur l'eau
l'ombre du fanal
en soudain sortilège
lacune
de neige
le cygne
s'en émurent
les astres
jusqu'au rapt
nuager
jusqu'au ressac
croissant désir du rouge
*
La louve incandescente
j'ai crié là ton nom de femme
à chaque porte s'ouvrant
à chaque silence érigé de nouveau
tu ne serais plus dans ta maison
cette présence qui m'avivait
ces cahiers
que tu confectionnais toi-même
avec les feuilles du hasard
et le ligot de la parque meurtrie
pour les épanchements de ton coeur
greffé sur la nuit miraculée
ces cahiers
je les ai cherchés
dans la béance des tiroirs
je les ai cherchés
à en éventrer le secret de tes coffres
à en élucider l'arcane de tes sépulcres
instants
de bois
de carton
de métal
vides
à en épuiser mes pupilles
j'étais cette assembleresse d'abîme
l'hiver s'affalait aux vitres
dans sa pelisse de rideaux pourpres
l'âtre murmurait ta silhouette
j'avais taillé dans un morceau de chêne
une louve
pour qu'elle rôdât un peu moins
au fond de ton bois dolent et sauvage
sous une lune
de poutres noires et de lustre
devant ses yeux immobiles
je te savais assise
avec ton cri d'aquarelle
la bête en braise grésille
à ses purs linéaments
voudraient se suspendre mes larmes
comme fait aux fils
juste après le linge tôt rentré
la première pluie d'été
c'était courir loin de là
loin de la maison
c'était courir à la forêt
où l'inextinguible refuge de cimes
encore une fois
t'aurait gîtée
c'était courir
que je devins tout entière
entre la disparue
et la quête
c'était ce corridor de glace
et d'enjambées éperdues
que soufflait le grand vent dans le manoir du monde
ce feu ton escale
et sur l'incandescence
la nuit cendrée
de tes poèmes
des syllabes survivent
sur un papier
déréel
pour une lectrice
impossible
toute une lisière filigrane l'horizon
et de la couleur de l'occire
cette louve qui vient hurler
la nuit
a des saillies
pour chacun des mes élans
au grand pays du ciel
on s'est égaré
avec des pas d'étoiles
*
Pietas
à l'éveil
des toits d'ocre votive
lentes fumées
volutes orantes
et le jour
dans sa déité de versant
revêt la gaze bleue
de l'éphémère
*
Mes yeux
dès lors mes yeux
des plaies appariées
en coule le réel
si liquide
la ville
lignes
et couleurs de sel
rôdent
dans toute la transparence
si marines les visions
ce ressac de boutiques
ce poudrin de passants
cette hauture de jais
confluées les effusions de ton absence
*
pur chant
grand vent
vespéral
fleuve d'éther
où mugit l'illimité
emportés
la touffeur de la bourgade
le tempo médiocre
des mots et des regards
un tombereau d'ombre
y décharge
les derniers gravois
des couleurs
à la faveur
de l'espace net
sourd
un oiseau de cristal
*
Alcool
fille folle
dans la nuit
mes larmes de silence
ne sont pas l'antidote
au poison
qui t'a gagnée
tu es
cette lente danseuse
oppressante et diaphane
au fort de l'orangé des luminaires
rebelle aux murs-tambours
qui toute une jeunesse
te convulsèrent et t'étourdirent
une euménide
a gravé sur ta face
un sourire déréel
elle a laissé
une gerbe de ses vipères
dans le bouleversement cuivré de tes cheveux
tes mains
morceaux de lune vagabonde
reflètent un soleil failli
et tu confies à ta robe
ton double de tulle
l'énergie de l'éloignement ininterrompu
dans la ruelle scintillante de pluie
*
Soir
il fait bon près de vous
à l'heure où s'en va le jour
les nuages dévoués à la lumière
au-dessus des crêtes mauves
il fait bon près de vous
parmi les cyprès immobiles
le lointain condensé dans les clarines
malgré le vol noir des oiseaux
il fait bon près de vos pierres en fleurs
vous avez des gerbes comme des incendies
vous avez des anges comme des femmes aimantes
vous êtes morts comme change ma peine
*
Mélancolie
à demi évadé
du jardin poli
arbre
majestueux
qui surplombes
l'abîme du bitume
où s'écrase
ton ombre
avec son principe
solaire
avec le départ
avec la destination
des passants
fourmillés
je sais
le plus pur
de mon dernier rêve
agrippé
à la moins automnale
de tes branches
*
Neige
Déjà le matin-machines
déjà les gestes-pelles
et le bruit de râle du sol qui reparaît
Mais la lueur soufrée des phares
à travers la tombée légèrement diagonale
Ici la métamorphose aura tout le temps
des allées d'écailles des allées d'enfonçures
il n'est qu'un seul blanc pour la lucidité du passage
une poudre d'ange remet son semblable à l'heure aiguë
coiffe la pierre de la durée du tailleur
repose les photophores
l'artifice des pétales
la fracture des fétiches
et double les voyelles chères qui furent de métal
*
Directions
aux diamants de la nuit
découper l'évasion
en rose des vents
*
Fleurs des Pharaons
je fus ce grand roi
à l'âme duquel a murmuré tout un fleuve
aussi la mort et son écho de crâne
qu'y pouvaient-ils ?
ma chair incisée s'affranchit des entrailles
et reçut les gestes du natrum, les caresses des baumes
et les regards liquides, doux et chers
imprégnant le tissu de l'emmaillotage
parmi les trésors qui se reposent de leur valeur
mes yeux gemmés et peints
par ceux qui m'ont vénéré
ont des paupières d'imperceptible voyage
et je ruisselle des fleurs sans nombre
longuement réunies et cordelées par ceux qui m'ont aimé
afin que leurs effluves me prolongent
dans la nuit prairiale de l'éternel
*
Étanchement
rayons et plis de voile
en bouquet s'offre la fenêtre
la corolle se maintiendra
dans son incertitude de nuage
mais le calice verse ses flambes
aux mauves des couvrantes
*
Errance
ce grand vent nocturne
je le connais
ce vent de la solitude opiniâtre
ce vent de l'allure
qui devance la chair
ce vent qui émeut
jusqu'à l'effroi
les géants de pierre
juchés
sur les édifices
il souffle
à l'instant apothéotique
de l'humain silencé
sa fraîcheur
rappelle
les premières lunes
de l'affranchissement
et dans son serment
de ruines
errent des lueurs mendiantes d'aurore
*
Fenêtre
Étendue
sur le lit de ce soir
le silence
m'a recueillie
la fenêtre
est pleine d'un arbre
dont une parcelle verte
demeure lumineuse
je la crois
affranchie du soleil
du mouvement
de l'axiome d'un jour encore
qui décline
image de ma sérénité
libre
du sang qui court sur mes os légers
*
Fossile de neige
où l'ombre
couvre la neige
c'est un sûr chemin
où la neige n'est pas atteinte
par l'ombre
mes pas s'enfoncent
exagération du clair
mes pupilles au supplice
je puis traverser
des champs
encore
où donc arriverai-je
lorsque toute la lumière sera versée dans mon voyage ?
*
Vraies matières suppliées
encore
ton or
soleil
pour humilier
les médailles nécrophages
encore
ton argent
lune
pour prosterner
l'orfèvrerie spasmophile
encore
ton bronze
peau offrante
pour agenouiller
les statues ravisseuses
*
Je n'ai jamais rien écrit
Je n'ai jamais rien écrit
sinon la solitude
imminence du poème
qu'elle fut longue
comme un ouvrage dès midi
l'attente du silence
je m'abandonne
à mon souffle
où désormais poudroie l'horloge
mon corps sait un déshabillage
dont le tressaut retrempe les sens
la moindre pensée d'un geste
a le poids d'un monde perdu
des oiseaux polychromes
se répètent dans les voilages
des fruits rouges se délivrent
de la succulence et de l'éphémère
dans le pénombral creuset de la porcelaine
un coeur de sucre
inconnu désormais
à toute amertume bue
raffine sur la candeur
auprès de la lampe gironde
sur les portes closes
les poignées d'or
se réduisent à l'écho
du visiteur en la mémoire
Je n'ai jamais rien écrit
sinon la solitude
je ne me trouve nulle part
sinon à l'imminence du poème
*
Matinale
Lacis de veines
dont la couleur
est une quiétude
dans les confiances
qui verdissent
Et la seconde
s'étoile
comme un ballon lâché
par un sommet
sans convoitise
*
Joaillerie en plein ciel
oiseau chanteur
que ses ailes démentielles
sertissent
dans la rose de ouate
au passant
il aura rivé
la merveille
*
L'escalier de safran
Si malingre sur les rochers de la rive
sa peur désormais un foulard de soie dénoué
à même le vent
son sang malade cette voile blanche
continûment contre la pourpre ouatée du lointain
quand se confirme tout autour d'elle
la dernière fête de l'été
elle sent revenir le monstre exilé dans ses os
et elle esquisse le geste qui violente
avec la hurlée qui laisse seul
mais de rythmes et d'alcools la foule se cuirasse
...............................................................................
Son pas véloce et vaincu dans les rues innommables
les premiers luminaires acquis aux cheveux d'or
ruissellent le long de son corps
le jardin précise les lignes de son épuisement
devant la si ancienne bâtisse
qui joue à être son château d'enfance
le jardin mais aucun des bancs fallacieux
qui cernent le bassin et sa naïade de fer bleuissant
elle marche vers l'angle ravisseur
et s'étend sur l'étroit escalier
dont une lampe finement treillissée safrane la pierre
de son visage de neige elle attend la fonte
et elle lui parle
à la leucémie
comme à une féale
des décisives cavales
elle dit qu'elle voit ici
la couleur exacte de sa douleur et de sa solitude
qu'ainsi partagées
qu'ainsi déposées sur la nuit
comme le feu de l'âme sur l'encre du poème
elles ont moins d'empire en elle
les marches qui montent
et celles qui descendent
ne la concernent plus
elle s'endort au milieu de l'escalier de safran
À l'aube avec sa vie
s'éteint la lampe niellée de proies
*
La fille au grand chien noir
Sur l'immuable ardoise du ciel
elle aura lu le soleil abdiqué
les souffles
las de l'automne classique
des sèves mortes réputées le simulacre du feu
prirent la couleur de ses longs cheveux
d'un pas serein, égal
elle éloignait la demeure
au-delà du ruisseau
au-delà des pâtures
où gouttait la clarine
un chien tantôt la distançait
tantôt la rejoignait
rapportant ses crocs humides à l'orée du sourire
au fort de sa course
il semblait une encre vive
sur l'émeraude des tréflières
sur l'ocre des labours
une encre qui se serait délivrée
des signifiants d'un potentat
D'un pas serein, égal
les yeux fixés sur un point du tréfonds
elle escamotait la demeure
la chambre sous le toit
son capharnaüm de cahiers, de plumes
de cires fantastiques, de glossaires, de papiers nomades
de regrets parmi les ambres des liqueurs renversées
la besogne inexorable d'un roman d'amour
où chaque harmonie extraite de la mine lexicale
témoigne de la peur d'aimer
un geste déjà
mais tributaire de mains si moindres
un geste se sera engagé
à ce que la consomption advienne
or de faîte en faîte
de hallier en hallier le vent s'était approché
avait possédé la charpente jusqu'à la sensation de ruine
comme le ravisseur omniscient que l'on espère depuis longtemps
Son pas serein, égal
meurt soudain au bord du champ
au sommet du corps immobile
dans ses longs cheveux détachés
une part de l'émoi des feuilles lancéolées
et des barbes d'épis
dans ce bruit de mer et de flamme mêlées
toujours recommence une réponse
au cri de la complexion
y basculer
de tout le poids
de la récolte rêvée
Seule
l'encre si pure du grand chien noir
rejaillira
de son intensité viendra la nuit qui pluvine
Avec une voix toujours murmurante
du vieillard qui s'étonne à l'enfant qui s'émerveille
on raconte qu'au retour de l'automne
un hurlement profond comme la vallée
est le principe du vent inépuisable
qui échevelle le maïs
*
Perdre les gemmes
l'instinct héliophane
de toute sa contention de rose lactescente
mamelonnait le ciel maculé de la cour
parmi l'épars nébuleux
allait cousant l'imminence de sa vanité
un angle de la table
était épanoui par ce long verre
qui limbait le liquide diamant de la lumière
or l'alchimie féline
l'énergie pour que dégorger
après la minute oscillée des paroxysmaux bords
sertisse dans l'indemne la béance
l'inéteint réfugié en prunelles
extraites du prélassement
se mue en regard
qui atteint aux vantaux de turquoise
jusqu'à ces prémices de fuligine
où se réunit et navre le mouvement de la bête
par un forjet d'arbre et de toit
sur une brève traverse de silence
au profond du retroussis de l'extase
n'a de cesse de cambrioler la croissante pénombre
*
L'adieu
on me demanda
de clore ses yeux de ciel
mes mains y devinrent des oiseaux perdus
*
Définitive
vers la sylve de nuit gracieuse
le jais ainsi dénoué
autour d'une célère sylphide
des feux rectangles
lingotent les altesses
or la ville à ce point s'acharnant
qu'elle évoque rouge
un serpentueux infini
et s'ensanglantent
vouées au transpercement kyriel
les pointes les lances
de la clôture fière
blottie la fugitive
dans l'accompli d'une enjambée
afin de mourir resplendie
à la distance heureuse
*
La navreuse
l'ambivalence des lisières
possède le moment cardiaque
sous la netteté de l'affublement jaune
l'axiome des saisons délie ses phonèmes
de leur obligation
aux extrêmes des pulpes le foliacé recueillir
s'est arrogé la pointe de lance
par l'insoupçonnable écorchure
tout le long de son pluriel
le journalier décor s'étrange
partir vrai s'échevelle
s'épanche en déplantations de vent
flanqué de son recel hématique
stride un train disparaissable
à travers la détissure
l'aiguail endiamante l'exuvie d'un repos
puis à l'épointé où richoie l'élan
transpercer
équidistance des orées
échappe de toute préhension
source
de carole
et d'aile
inépuisablement dégouttant d'abîme
*
Cerf-volant
losange soudain
enfui du saisir
que décharnent
les arches fluées
son ascension
couleuvre de désinvolture
filamenteux lest
du scintillement
renonciations d'édifices
sfumato de la tour
préface aux distances
arlequiner l'enfant du ciel
sa main nébuleuse
s'anémiant de bleu
*
Éclat d'éternité
Et d'un soir
s'augmente
l'arcane
aussi du jardin
se prononce
la saillie lumineuse
du rose
dard vrai
dont frissonnent les flancs
de l'ogresque temps
*
Reflets
comment dans le lac serein
cette baignade des étoiles
qui n'ont pas quitté le ciel ?
*
L'arrivée
l'interminable salve hiémale
compromise
les lampes d'un boulevard infirmé
d'incertain
égrènent le safran de l'idéal
les lignes des limites
démaquillent leurs noirs
jusqu'aux fusionnels méplats
onctueuses lueurs suspendues
à l'évanoui des substrats
mes yeux enfants guidés d'ambroisies
le destin
que cette arche recompose
où telle l'éclosion du cercle
exquisément courber
le flambage des ailleurs
*
Vaisselle aviaire
À travers les étagères vitrées
tant d'ailes peintes
sur les céramiques
les porcelaines sans emploi
dans le florilège de tes oiseaux
nous buvions le thé qui grise
nous éternisions les gourmandises
nous avions vidé le ciel
de toutes les rémiges
pour l'espace de notre désir commun
et de ses gestes d'envergure
Aujourd'hui
je voudrais les libérer
afin qu'elles t'accompagnent
dans l'ascension qui t'est promise
mais ma douleur
que saura-t-elle
mes mains émues
que pourront-elles
sinon briser tant d'éploiements
qui colorent la céramique
la porcelaine de nos gloires
*
Église
À force
le vent
à force de lugubre
éteint l'or et le sang
charbonne l'azur
des vitraux
La voûte
comme une brume de cendre
voile l'oreille éternelle
qu'allait atteindre
l'Énigme
qui chuchote
ou qui chante
*
Clair-obscur
de son horizontale
ce ru bref
qui safrane les voilages
d'impalpables passerelles
y sont mimées par les plis d'ombre
le réveil va se muant
en un tel voeu d'équilibre...
l'esthésie
où être ravie
tait la connaisseuse
tout à sa redéfinition
le plafonnier interroge le noir paroxystique de son triangle
*
Ivresse
le vin vaste et safrané
dans la coupe
que violettent les montagnes
qui l'a bu d'un trait sûr
pour que le chagrin noir comme un ciel
pétille soudain d'étoiles ?
*
Leucémique
ces grands rectangles de part
et d'autre de la monocorde apathie
les reflets ruissellent
de nuit défilante
des lueurs
à l'orchestique poursuite
des lueurs
l'orangé essaime dans un instant de noir parfait
le blanc traitille le fugace
une théorie de colonnes mauves sinue
jusqu'au demi-cercle radieux
qu'égraine un soudain point vert émeraude
et la parcimonie du rouge
apatrides globules
perlant à mes yeux déréels
*
Coma
dans les sillons
bleu nuit
de tes cernes
les semailles
à pleines paumes
ruisselées
de ma patience
un jour
demain
la moisson
de ton regard
à la faucille
sélène
de ma présence
un jour
tout à l'heure
la récolte
de ta voix
au silo
si résonnant
de mon coeur
*
Vagabond sélénien
j'aime
par les nuits
glacées
et crépitantes
chausser la vaste terre
qu'épouse la neige
couleur de lune
*
Au bord de l'étang
bleuité saillie
et toutes ses limites
vaguent
comme fumées
recommençantes
se ficher et percer
suspendus
l'effusion
s'hébète
se reconsidère
enfin se donne à la gaze de mutisme qui
encore échoue à se poser
sur l'intervalle des souffles
*
La Suicidée
silhouette de fille bleue
au-delà du tempérament des venelles
son chant fouaille le retard
au-delà de l'aile vaste des primes neiges
et puis le silence de la solution
versé par l'aiguière sans lèvres
la lune dans la fonte du bleu
décoche la flèche qui l'arque
la plaie brille profusément
à la manière de l'étoile protagoniste
*
Ce que fut ce jour-là balayer les feuilles mortes
de mon geste itératif
singulière ardeur
inverse ciel en feuille
humble au faisceau
du balai bruiteur de la cour
mimesis qui fulgurent
monuments lamellés
de nos âmes déhiscentes
miniature
de notre nacelle comme immobile
entre les dénégations d'un fleuve
aile ignée
du papillon couru
par nos santés de prairies
délicate étoile-main cannelle
vouée à se fermer
pour tenir l'atome vert de notre été
et dans la cour orpheline des voix
à même la survivance
tumulus des feuilles en brumaire
de leurs bruineuses nervures
lacis égareur de ma mémoire
*
Le tombeau de la mouche
la vitre qui bonifie la griffade
albe
et si légère
son étourderie de givre ou de sucre
pour que l'angle se fasse archer
sans rien enclore
de la métamorphose de neige
une mouche exténuée
équerre l'escale indéfinie
un flocon y devient l'eau longue
des étanchements impossibles
un surcroît d'étoiles en mon sang
compromet de draps immaculés
et le geste et le pas
ailer encore un peu
l'ultime ardeur
tambourineuse des parois d'hôpital
elle ira franchissant l'arête
qui exile sur la prairie d'ombre
le vieux rose des fleurs tapissières
*
Lacuneux
tes mains ont oeuvré
mais tes yeux qui sont tristes
qu'ont-ils contemplé ?
*
Les vents
un vent de gemmes murmurantes
emporte l'écrin
de mes poèmes tus
un vent d'ossements nivéens
emporte le reliquaire
de ma stature
un vent de craie hors d'haleine
emporte l'enfant
de la marelle heureuse
un vent de roses soupirées
emporte le jardin
des songes illimitants
un vent de nostalgie cendrée
emporte l'âtre
de l'aïeule fabuleuse
un vent d'infirmité nue
emporte la pourpre et le satin
de mes promesses
un vent de saison polychrome
emporte l'arc-en-ciel
de mes enjambées
un vent d'oriflamme crépusculaire
emporte l'ardeur
de mes solennités
un vent de proues sans visages
emporte le doux fanal
de mon avitaillement
un vent d'oiseaux couleur de pénombre
emporte le papier ciel
de mes convictions
un vent d'infime cristal
emporte l'aiguière
de mes étanchements
un vent de lumière profane
emporte l'étoile indigène et rouge
de ta tombe
*
Legere *
pour la bête immaculée
qui sait surgir du vert élytral
et dominer surprise les tombes
pendant que les sillons aurigères de la calligraphie
se fondent dans le geste céréalier
l'angle transmue sa pierre en pain
un bateleur nébuleux
décèle les prémices de la fraîcheur
et le souffle brandillant
qui a recueilli le soupir parmi son nimbe
tout à l'aplomb d'une croissance par-delà la glèbe
que la dilection variablement inachève
ce signet de neige
qui va reliant au ciel
l'inflexion d'un florilège
* legere : verbe latin signifiant "cueillir, choisir, rassembler", étymon du verbe français "lire" qui est d'abord "recueillir par les yeux", "assembler des paroles".
*
Dépouillement
il est temps de s'asseoir sur la grande pierre plate
il a suffisamment marché
celui qui n'a plus où aller
Le lait sucré
le beau que sillonnent les vers
ne feront que peu contre mon éreintement
enfin les derniers humains s'en vont
toutes ces femmes avec tous ces enfants
et toutes ces inflexions qui sacrent les inquiétudes
ils ont fait mal au silence
dont je m'étais considéré comme la sentinelle
avec le baume du soir j'ai veillé sa convalescence
au comble de la cicatrice vient le vent
au-dessus du panachage de bêtes
que l'homme a composé
et c'est le vent comme un toit
de feuilles et d'étincelles
et je m'étonne de mon livre
de mes mains qui saignent son alphabet
et sur la pierre
me rassure la boisson épandue en transparence
et les paons se juchent
et allument des franges de délivrance
et les oies étendent
et secouent leurs grandes ailes blanches
leurs plumes ainsi neigées
disent-elles les âmes des pommes
qui se corrompent dans le tremblé d'un linceul d'ombres ?
*
Les statues d'arrière-saison
Pour dérober leur base un gazon flambe et dore
sous les grands lacis noirs où doutent les aubiers
et de tout son miracle un seigneur topiaire
profile leur désinvolture sur son château vert
qui fiche quatre tours dans le siège du temps
Ce que furent nos mains longanimes leur est dévolu
par mille orages améthyste et ardoise ouvragés en ciels d'étoiles
nos propres paupières closes les transfigurent
ils savent l'abandon de nos demi-visages au creuset du baiser
et leur étreinte ne lénifiant aucune sépulture
prolonge notre désir humain jusqu'au minéral clair
*
Gerbe
sur la pierre tombale de ma solitude
j'ai déposé
le florilège de tes regards
*
Soir d'illusion heureuse
par les arbres s'ajourant
progressifs porteurs de sources vespérales
par ces mille canaux à l'automne
ruisselle
l'or
dans le moule impressionné
qui se creuse
à l'incise des mots
et comme une statue
avec sa face altière de poème
déjà glisse
de son désiré poids de chimère
vers la poussière d'étoiles
qui use les nuages
leurs rogations de piédestal
et leurs définitions de ouate
*
Saturne défié
château
de brume
la mémoire
prend la forme
de l'enfant
espiègle
altier
son jeu
sur les créneaux
du rempart
cet instant-là
de langage
et de mouvement
cet instant-là
de chair
n'aura rien su
des mâchoires
du temps
*
Lumière saignée
juste au-dessus
du rempart de nuage
l'étoile
comme une assiégée
ininterrompus
ses traits
partout
les meurtrissures
éblouissantes
du verre
de la route humide
partout
à la pupille éperdue
ce lac immobile
de platine et d'or
mais
l'ombre
conquérante
déjà
boit sa coupe
de crépuscule
*
Vers le gîte
le lointain
comme un dos
sous son havresac d'aurore
cette foulée de soleil
baignée de bleu viatique
passé l'altesse de midi
incliner
à l'hospitalité du seuil rouge
au satin de l'estompage
à la veilleuse lunaire
qui étoile son filament
d'un ciel à l'autre du serein respir
*
Ouragane
La fuite d'un père aux frimas de minuit
racina la violence en chacun de ses vides
puis d'une mère et de frères en allés
aux pointes contraires de la rose des vents
le nom d'Ouragane la rebaptisa
Bacchante de souffle et de nausée factieuse
elle disséminait les écoles, les métiers, les gîtes
elle se déchaînait sur les rencontres
les brisant de tonnerre et les zébrant d'éclairs
visages stupéfiés dans le grand mouvement qui abhorre
Sa cape de solitude soudain
encrait la nuit des luminaires
et si mugissante elle drapait les ruelles
énigmatiques comme
si nulle allure humaine n'y eût encore paru
Au plus épais de l'orpheline
elle avait le pouvoir des tourbillons de pluie
et les vieilles femmes montées aux cimetières
se courbaient sur les tombes bouleversées
par des manières de résurrections vandales
Ouragane aspirant à élucider son nom
s'engouffra dans sa mémoire
mais les pensées, les récits, mais la cohue des poèmes
impatientes tramontanes vers le principe et la blessure
se réduisirent aux feuillets déchirés de son âme
Vint le grand bal de l'été qui s'en va
une robe de bruns et d'ors la vêtait
d'élégants cavaliers dansèrent ainsi avec l'automne
mais sentirent en leurs os son sourire muet
se ficher comme un premier dard de fraîcheur
Elle fuit sans conscience de l'adieu
et la multitude méticuleuse la cherchant ressemblait aux ronds
que ferait un lancer de coeur dans la mare des remords
de complices rafales éparpillaient les feuilles
sur l'aube, le chemin, le square, sur midi du campanile
Sur le ruisseau
qui réunirait peut-être leurs ors à l'or du soir
au-delà des détresses
où les vents sont les soupirs
des ascètes qui contemplent
*
Automnale
C'est au bas du sentier long pourvoyeur d'abîmes
cet are limoneux mêlant la lisière à la berge
où mon coeur vient assumer le dernier rythme des choses
Avec le vaste de tes yeux se sont clos tous les oiseaux blancs
Au-dessus des ramures oubliées du frisson
un pont semblable au repos d'une immémoriale bête
a par intervalle arqué dans sa pierre une lumière épaisse
Une barque stupéfie son emploi sous l'éternité bleue de sa bâche
Pourtant au gré de l'image liquide d'un monde immobile
incessamment flottent les feuilles orphelines de leur sève, lentes
lentes comme les mues des profondes douleurs
*
Matin tissé
Les ténuités
de l'ourdisseuse
un lumineux zéphyr
y tient son cartilage
Et toute capture
à cet instant
confondrait
la mort et l'étincelle
*
Survivance
les ignorances
de la tuile épointée
les impasses bleues
d'où retourne nébuleuse
l'orpheline d'ange
claires
les fumées capricantes
réunie à la victoire
la parcimonie floconne
et il vient des mains de quintessence
pour défleurir l'ubiquiste tapisserie
ne laisser au sortilège des parois
que la gerbe vastement éparse
de la contredite funéraille
*
Séparable
bris de lune
effusion bleue
geste en nuage
et dérision
son esquisse pour panser
or les hauts troncs
partagent
les lacis des ramures
parcellisent
or les mains divisées
par l'adieu
au bord du poème
insondable
*
La dernière photographie
De la nuit qui décline
sourd une silhouette de nacre
aucune heure vile
nul odieux contrat
ne préside à son allure
elle s'émancipe
et croît comme une matinée
se fortifie comme midi
dans ses mains nivéennes
les yeux d'un homme
la dévisagent
de gravir en gravir
elle étanche sa soif des altitudes
l'élan continu de son éclat
aura porté le jour
De l'abîme qui la rive à son bord
montent les prémices du soir
et ce vent idéal
qui ni n'arrache ni ne lâche
dans ses mains nivéennes
l'homme perpétue son sourire
le corps dense des étreintes se ravive
avec la compacité de l'instant agrippé
sur ses mains qui vont floconnant
au-dessus de l'abîme
pèse son amour
Les métamorphoses
d'un vol d'oiseau
épanchent et chantournent
l'ardente polychromie du ciel
à la solution du beau
l'image se délivre
s'en va comme une aile
à mi-chemin de l'impondérable
le rouge escamoteur déjà
fait lui-même ses adieux
par le sombre qui s'étoile
Dans la fraîcheur du demi-sommeil elle attendra
que l'aurore en sa rosée
participe de sa lucidité en larmes
Loup-de-lune / LIU Bizheng
Modifié par Loup-de-lune, 14 février 2021 - 02:10 .