/Il traine/
J’ai shooté dans une cannette. Sans faire attention. Et le bruit m’a fait peur.
Ces échos, comme ça. Crucifiés à l’asphalte. D’immeuble en immeuble. A faire vibrer les vitres dans la nuit.
Montre en menotte—incrustée dans les chairs. Et chemise
abrasive. Les réverbères…
leur lumière diffractée par la pluie. Ça me brûlait les yeux. J’ai allumé une cigarette. Inspiré
fort pour faire passer
la crampe. Mémoire géode.
Suis descendu vers la rade.
C’était Lorient, peut-être. Ou Brest. C’est toujours Brest quand j’erre dans les rues le soir, mais là, c’était Lorient.
Parce qu’il faut bien que les choses changent. Et de toute façon,
de ville bombardée en ville reconstruite ; d’une rade
à l’autre ; entre Ouessant et Groix, entre
Lann-Bihoué et Lanvéoc, chaque vague est ce qu’elle est :
un long hululement perdu, la quête d’un ailleurs.
« Nos minutes toujours se pressent vers leur fin. »
Il s’est arrêté de pleuvoir et marcher jusqu’au bout de la digue m’a fait du bien. L’ouverture sur le large, le vent, le clapotis confus d’une mer croisée.
Essayer d’oublier : l’odeur Benghazi des carbures ; les pas, les ombres ; le rythme entêtant des feux…
La lune aussi fait sa diva !
_
/Ritaline/
Les maux de têtes ne m’ont pas quitté et la nausée m’a repris.
C’est à cause… c’est à cause… de l’intensité clignotante des lumières : vert, rouge, vert, rouge, vert rouge… Et de la houle, imaginée.
Reprendre la marche. Courir, peut-être.
Un bruit. S’engouffrer sous une porte cochère, le temps…
que le ronronnement de l’avion s’éloigne. Les murs sont
lézardés, le sol
pas droit et ça sent l’urine. Qui donc vient là
dormir ou s’abriter de la pluie ? Des flics ? Pour
vendre quelques feuilles d’herbe ? S’embrasser…
Sur le mur les flashs des phares. Dérobé, le coeur. Contraction…
une… deux… puis le flot soudain. Douloureux. J’ai rejoint
le trottoir cahotant de bateaux, de plaques d’égout…
La vie en dessous, je me souviens… Une plongée…
L’odeur. L’eau boueuse. Les fourrures
effarouchées fuyant, frôlant, frissonnant aux éclats
de la lampe frontale puis revenant intrépides—
dents blanches, dos hérissés,
petits kamikazes accrochés. Yeux pointeurs. Tout ça c’est une
question
d’espace vital.
Au bout d’une étoile qui s’éteint, à la longue, longue fin
d’une rue noire tortueuse il y a
un gong de lumière brûlante et sur le sol
le tour de passepasse d’une latérite
un peu trop rouge. L’odeur est toujours là. Et quelque part
dans un hôtel dont j’ai oublié, dans ma course, l’adresse,
elle attend mais nous
ne sommes jamais
rentrés.
_
/Retina… il/
Les volets ferment mal mais j’apprécie le froid de la piaule entre les draps rêches quand je
ne parviens pas à
dormir. Quand j’ai peur d’avoir peur de ne pas
trouver le sommeil. C’est affligeant, tout de même !
Cheveux sur l’oreiller, encore humide du crachin,
draps trempés de sueur, j’imagine
au matin, l’aigre odeur de cave,
de renfermé. Ressac toujours plus fort à mes oreilles. Dans le caisson
il y a peut-être, oubliée, une gélule…
Debout. Onde gelée dans les épaules. Les gouttes dévalent
ma nuque et la pièce tourne. La lune aussi
a plu derrière la fenêtre et laisse des traces
dégoulinantes. Hémorragies de flaques, que l’ombre sépulcrale des bâtiments coagule…
Je me recalibre au café. Un serré,
trois sucres, une aspirine. Cul sec.
Le second noir, plus long, dégustable si ce n’était
la qualité médiocre des capsules. (Note pour plus tard : signaler
que les verres sont trop larges et restent coincés…)
Brûlure. Pétéchies sur les dalles,
que j’étale du bout du pied. Le corridor
résonne lugubre dans sa solitude nocturne
du vrombissement de la machine… la porte qui grince
c’est comme… ce coup de frein au barrage, un rotor soudain
apoplexique,
la respiration qui se bloque… l’impression
d’un dernier regard mais le visage, déjà
a disparu. J’attends l’onde de choc.
Je ne me souviens
que des fragments de verre. Maelstrom.
Nous ne sommes jamais…
Nous ne sommes jamais rentrés.