Il faut passer à côté du danger, voir un livre dans le danger, un danger dans tous les dangers, tous les dangers dans un livre. Je n’ai pas d’avenir en passant à côté du danger. Un examen approfondi de la poésie contemporaine à partir de ce que je sais de la poésie et de ce que j’en pense, à partir de la poésie contemporaine que je fais, me fait comprendre le danger de ces livres édités de façon contemporaine et dynamique, de leur avenir. Une simple phrase de Péguy, car Péguy dans sa vie si courte n’a écrit qu’une seule phrase et cette phrase est son style, cette phrase m’a très bien fait comprendre qu’il n’y a pas d’avenir. Mais cela c’est ce que je pense, et il y a une infinité de Péguy dans l’universel. Et dans tous les dégoûts, mais cela n’est pas de Péguy et cela n’est pas Péguy, il y a de la rancune et combien d’avenir à la rancune. Et combien rancunier peut être celui qui accuse quelqu’un de rancune. Combien orgueilleux peut être celui qui dans son bon droit croit accuser quelqu’un d’orgueil. Dans la catastrophe du Nobel de Beckett, combien y-a-t-il de lecteurs de Beckett et d’écrivains lecteurs de Beckett qui aspirent au prix Nobel ? Et dans les lecteurs de Rimbaud et les écrivains lecteurs de Rimbaud combien y en a-t-il qui espère vendre leur recueil ? Il y a cet écrivain ou ce poète qui écrit son recueil, qui le publie, et l’écriture de son recueil ou de son roman, et la publication dynamique et contemporaine de son recueil ou de son roman, c’est l’écriture et la publication de ce recueil ou de ce roman qui se lève pour récupérer son prix, lui le lecteur de Beckett et de Rimbaud. Et ce prix est peut-être le prix le plus prestigieux du monde. Et quand il récupère ce prix et ces lauriers, et quand il sourit en le récupérant et qu’il se met à discourir ensuite d’un air grave et profond en citant Artaud et Lautréamont, pour les plus ambitieux de ces champions, que fait-il ? Il remercie une partie de l'humanité a avoir été et il les encourage à être, parce qu’il parle d’avenir, parce que dans tous les prix il n’y a que de l’avenir. Parce qu’il n’y a rien de plus commun et de moins universel que l’avenir. Il n’y a rien de plus dangereux qu’un livre primé comme il n’y a rien de plus triste qu’un écrivain orgueilleux et rancunier. Voilà que l’écrivain primé de son prix prend sa revanche sur l’universel, voilà qu’il en appelle à l’histoire de la littérature, voilà qu’il dit qu’il y prend sa place, qu’il la mérite. Et voilà que l’écrivain orgueilleux et rancunier dit que son absence d’écriture, son absence de publication lui donne toute sa place dans l’histoire. Tous ces dangers forment l’avenir et l’avenir des livres, tous ces dangers tellement dans l’histoire. Et dans l’histoire il y a ceux qui creusent, et qui creuse trouve. Et ils trouveront dans l’histoire, comme il leur est permis dans l’avenir de trouver dans l’histoire, celui qui mérite un prix. On donne un prix aux morts, on donne des noms de morts aux prix et on dit : cela est l’histoire, cela est l’avenir. Mais voilà un grand danger, voilà un danger qui a vécu, qui vit et qui ne meurt pas. Voilà un danger qui ne tue pas celui qui est mort et qui veut mourir, et qui prend sa dépouille pour en faire de l’avenir et qui en fait une histoire de l’avenir. Voilà la grande histoire de l’avenir où l’avenir est commun, où l’on a pu dire : à cet époque il y avait cet homme et il n’y avait pas d’homme en dehors de ce prix. Et voilà le grand danger de l’éditeur qui prend l’écriture du recueil et la vie du mort et qui le publie contemporainement et dynamiquement : pour le faire vivre et pourquoi pas lui donner un prix. Et aussi orgueilleux, aussi rancunier que peut l’être l’auteur mort de son vivant, il cherche à lui donner un prix. Et il lui donne un prix à la mesure de ce qu’il estime un prix : à sa propre mesure contemporaine et dynamique. A sa propre mesure et à l’inverse même de ce qu’il peut penser, de ce qu’il ne peut que s’avouer à lui-même, il donne un prix d’une œuvre maintenant contemporaine et dynamique. Voilà qu’on l’affiche, voilà qu’on le loue, qu’on le prête, qu’on le donne, dans l’environnement de notre avenir contemporain et dynamique. Et combien est encore plus orgueilleux et rancunier celui qui croit penser cela tout seul parce qu’il l’a pensé. Combien est rancunier et orgueilleux celui qui croit avoir une pensée originale : celui-là qui s’attribue son propre prix. Combien est rancunier et orgueilleux celui qui s’inscrit de lui-même dans l’avenir et qui, voyant l’histoire de l’avenir et l’histoire de l’avenir advenir, s’inscrit de lui-même dans l’histoire. Car c’est l’écriture de son roman ou de son recueil qui vient se donner son propre prix, malgré tout son dégoût de l’avenir contemporain et dynamique. Combien cela est dangereux. Il n’y a pas d’échelle dans l’universel mais combien est petit celui qui se pense seul et qui ne donne qu’à lui-même. Combien sont grands ceux qui n’ont pas de prix et combien sont-ils d’autant plus grands devant ceux primés. Combien sont grands aujourd’hui les oubliés de l’avenir et combien sont grands aujourd'hui les oubliés de l’histoire de l’avenir. Car il n’y a pas de mesure dans l’universel autre que la pleine mesure de l’universel.

Prix
Débuté par Alfred, juil. 08 2021 07:19
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