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L'E insupportable


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3 réponses à ce sujet

#1 Alfred

Alfred

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  • 787 messages

Posté 12 juillet 2021 - 01:02

L’E, bouffie par l'obésité de sa bêtise, continue de me poursuivre. Il ne fait que parler, parler alors je lui dis de partir et puis il revient toujours aussi mou, toujours en parlant, toujours aussi bavard. Il dit qu’il n’est personne et qu’il voit le monde. Il me demande ce que je pense du monde, je lui répète pour la millième fois ce que je pense du monde et déjà il m’a coupé la parole et déjà il se met à crier dans mon oreille ce qu’il pense du monde. Je suis peut-être la dernière personne à qui il parle tellement on le trouve irritant, tellement on le trouve bête et proprement insupportable. Il revient toujours en s’excusant, je l’excuse et le cirque reprend : qu’est ce que tu penses du monde ? Moi je pense cela du monde mais toi qu’est ce que tu en penses ? Et tu penses vraiment ce que tu dis ? Car voilà ce que j’en pense ! Il dit cela en fouillant ma commode et en jetant tous mes vêtements par terre, il jette ma PS4 sur le sol tout en parlant sans arrêt et en repartant il se met à s’excuser sur le seuil de la porte et il repart sans la refermer. L’E ne pense pas mais se dit fier de penser. Rien de plus décousu, de plus nombriliste et de plus clos que la pensée de l’E, ce dont il s’excusera, puisque par moments il en est conscient. D’ailleurs, les moments où l’E est conscient de ce qu’il est sont peut-être les pires moments. Ils sont propices à un bavardage particulièrement irritant et insupportable.
Quand il m’arrive de présenter l’E a d’autres gens, je choisis des gens particulièrement patients, et même ceux-là il arrive à les pousser à bout. Je n’ai qu’une envie en présence de l’E c’est de disparaître, et quand je disparais il prend ma place, ce qui est encore plus gênant et c’est bien pour cela que je prends soin de ne pas disparaître totalement car c’est qu’il prendrait totalement ma place. Je dois m’excuser pour l’E auprès des autres gens, si bien que je passe ma vie à écrire des lettres d’excuses plutôt que des poèmes et l’E rit en me disant que c’est mon œuvre. Et quand il voit la somme de lettres d’excuses écrites, il se met à rire de plus belle en me qualifiant d’écrivain fragmentaire. Mais c’est de la faute de sa bêtise si je suis un écrivain fragmentaire qui n’a pas le temps de parler de choses sérieuses, belles et profondes et qui je crois peuvent intéresser un grand nombre de personnes. Quand je lui dis cela il me répond que grâce à lui je n’aurais jamais le problème de la page blanche et que je n’aurai jamais à me triturer la tête pour chercher un thème sur lequel écrire. Mais qui ça peut bien intéresser de parler de l’E alors que j’ai déjà du mal à intéresser les gens quand je veux parler de choses que je pense belles et profondes ? Qui ça peut bien intéresser sinon l’E lui-même et est-ce que ce n’est pas une stratégie de sa part pour que l’on parle de lui et de ce qu’il pense du monde ? Est-ce qu’il ne veut pas que je me mette à bavarder comme lui et est-ce que là il n’est pas en train de prendre ma place ?
Car l’E se voit évidemment comme un artiste et il croit penser qu’un artiste est un monde clos, un monde qui ne tolère que le sien. Ce que je trouve finalement intéressant et c’est pour cela que je ne le chasse pas totalement. En vrai parasite néfaste, c’est que l’E est en effet trop insupportable, trop bavard, trop inconstant pour soutenir ou enrichir les autres. Il les voit à la mesure de ce qu’il est : flou et incohérent. Il les voit comme la possibilité de dérouler le flot de mots irritant qu’il est. Il y trouve une justification. En cela il a raison de se présenter comme personne, et en cela il a une certaine force bien que ce soit une force de nuisance et de bavardage. Il faut un certain sens esthétique ou une grande patience pour ne pas lui foutre sur la gueule, et encore ! J’ai connu des dandys au sens esthétique prononcé qu’ils lui ont mis sur la gueule, j’ai connu des gens très patients qui lui ont arraché ses lunettes pour les briser sur le sol ou pour lui placer quelques coups de poing dans l’estomac. Et pendant cela il leur demandait encore ce qu’ils pensaient du monde en ne parlant que de ce qu’il pense du monde. Il était même heureux d’avoir été une source de défoulement, il les encourageait à le frapper. Voilà qu’on s’intéresse à lui, voilà un flot de mots à entretenir.
Heureusement que l’E vit dans un monde clos, je me demande ce que donnerait l’influence de la bêtise de l’E à l’échelle de la société. Une société peut fonctionner avec des parasites, il y a même des parasites nécessaires, mais avec une multiplicité de parasites comme E je m’attends au pire. Il n’y aurait que du bruit et des bavardages, on ne parlerait que de ce qu’on croit penser. Il y aurait des artistes aux mondes clos partout et plus de frontières pour la bêtise ! Un flot de mots continu, entretenu par des flots de mots où l’on se pose sans arrêt la question de la nature des flots de mots, où l’on n’arrête jamais de parler pour ne rien dire, au sens littéral de l’expression !



#2 Hattie

Hattie

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Posté 12 juillet 2021 - 04:28

Un peu à la manière du ‘ blast ‘ de Larcenet, du moi détestable, ou du ça freudien, quelque chose de la commotion et de l’arrangement.

Qui ébranlerait, harcèlerait... un ensemble organisé. __ J’aime beaucoup.



#3 Alfred

Alfred

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Posté 12 juillet 2021 - 06:18

Merci ! Et oui Larcenet a fait un très bon boulot avec Blast !



#4 le hamster

le hamster

    A poil laineux

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Posté 14 juillet 2021 - 12:55

Excellent.
Ça me rappelle un peu Henri Michaux ou Octavio Paz.

Et des E j'en connais plein.