Temps de tristesse
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Le temps, par l'ennui rassoté,
Se plaignait auprès des prophètes :
« À quoi me sert-il de passer
Puisque les fous et les ascètes
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Ne se sont jamais entendus
Ensemble pour se rendre utiles ?
Sans moi, pourtant, tout est perdu,
Quels que soient les lois et mobiles. »
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Ciel, dans son trône universel,
Écoutait la triste aventure
De son enfant surnaturel
Maltraité par ses créatures.
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« Que faire ? lui dit le soleil
Qui n'aimait pas cette tristesse
Nous avons de bons appareils
Pour doter le temps d'une épaisse
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Étendue de satisfaction :
L'amour, tenez, c'est un exemple,
Ou même la méditation,
Que sais-je, la machine est ample ! »
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Le ciel haussait son bleu d'un ton :
« Tu es brillant, mon bon apôtre,
Mais si le temps tournait en rond
Nous perdrions tous deux le nôtre
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Et l'on se plaindrait tant de moi
Que de ta chaleur excessive.
Hélas je ne vois pas pourquoi
Le temps est d'humeur dépressive.
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– Il est peut-être surmené
Par la folle nature humaine.
Ne pourrait-on l'accompagner,
Former avec lui une chaîne ?
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– Oh ma chandelle, mon plaisir,
Tu te consumes par la tête !
Le temps doit aller et venir
À sa guise entre les planètes,
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Car le temps est la liberté !
C'est lui, le créateur du monde ! »
Le soleil, prêt à se vexer,
Se tait. Sa sagesse est profonde...
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M.KISSINE - FABLES, CONTES et NOUVELLES - ISBN 9781326728755