Le silence aux prunelles d'or
guette la moire du marigot ,
antique mémoire , tombeau
du rêve de conquistador.
Sous un dais brodé d'or veille l'Inca.
Sa paupière dort et dans son corps las,
un grand trouble agite son cœur,
trop de signes avant-coureurs
où il lit de mauvais présages.
Un chasqui apporte le dernier message ;
Par deux fois il a vu, dans ses rêves,
son Père, le Soleil, qui s'élève
tout blanc, dans les sombres nues
brûlantes comme la gorge du Pillku.
Le ciel et les monts ,d'une lumière brève,
s'enflamment dans le jour qui s'achève.
Dans le même temps un Wak'a augure
des faits à venir d'une étrange nature :
on dit que des guerriers de fer rallient
le Tawantinsuyu et marchent vers lui
voulant à tout prix lui ôter le pouvoir .
Il fait mander le prêtre , suprême savoir,
pour venir éclairer la part sombre du rêve ;
s'il est adverse , il lui faudra sans trêve
lever toute une armée qu'il va devoir combattre,
repousser l'envahisseur, enfin le battre .
Le mage sur l'autel sacrifie un llama
dont le cœur palpitant indique la voie.
le Prince attend informant ses ancêtres
de la venue d'envahisseurs aidés de traîtres,
ainsi contait Wiraqucha,venu des mers,
longtemps le seul à voir des blancs vêtus de fer.
Il savait qu'ils envahiraient leur terre.
Alors Atawallpa dit qu'il saura bien faire
étant fils de Manku Kapaq, avec l'aide du Soleil,
un sort à l'ennemi , et dans le flot vermeil
de leur sang , les noyer et les bouter dehors ,
l'ennemi impuissant y trouverait la mort .
Le mage arrive tôt , précédé d'un servant
qui tient en laisse un ours d'un beau pelage blanc ;
il porte un quipu noir , au funeste message,
qui fait réalité du sinistre présage .
Il conte sa vision .
Des centaures armés d' une fronde de fer
qui crache cendre et feu, à la place de pierres,
un occulte pouvoir de jaillissantes flammes ;
ils sont venus des mers portant leur oriflamme
vêtus de noir velours, tout brodé d'argent,
voguant sur des balsas que commande le vent,
des êtres belliqueux, porteurs de barbes rousses
et les cheveux frisés ,serrés comme la mousse
enfarinée ; ils montrent de rudes manières ,
et dotés de mœurs prudes, le corps bien couvert,
arrogants, ils portent trois cornes sur la tête,
et prient un dieu en croix à la mine défaite.
On peut voir à leurs pieds de claires étoiles
brillant dans la nuit sous le ciel sans voiles.
Surpris par cette nouvelle
Atawallpa , inquiet, l'interpelle :
dit-moi habile Waylla Wisa, mage, mon frère,
qu'en sera-t-il de moi ? dis-le, je désespère ,
Inti nous sauvera de cette adversité !.
Va , des barbes rouges , sonder reins et les cœurs
et me dire en retour que sera leur valeur,
ruse et intentions, force, nombre et le reste,
quels sont les ressorts de leur projet funeste ?
Le Grand Prêtre est devant l'étrange Capitaine
qui parle avec force ,mais qui l'écoute à peine ;
il mande voir l'Inca pour son puissant seigneur,
qui possède le monde et tous biens de valeur,
car il est le seul Roi régnant sur cette Terre
ne devant de compte qu'à ce Dieu qu'il vénère.
Mais le corps de l'Inca, personne ne peut voir
car du seul grand Soleil , il tient son pouvoir
et ce serait l'offenser, qu'espérer, en vainqueur,
rencontrer et toucher cet illustre seigneur.
Et chevauchant les mers, on a vu les balsas
d'étranges guerriers aborder nos rivages,
exigeant un tribut, apportant le trépas
et jusqu'au cœur des forêts, la peste et la rage.
Les centaures grisés par la quête de l'or
lançaient dans l'aube, leurs vaisseaux conquérants;
ils plantent une croix juste à l'entrée des ports
du nouvel Eden , et le glaive, au cœur d'Adam .
L'Inca hésite encor, il ne sait plus que faire
ses forces déclinent et Huascar le trahit;
il supplie les Apus, puissances de la terre,
de châtier son frère et l'envahisseur maudit.
ô douleur, le soleil mystérieusement
s'éteint dans le ciel de l'empire, et l'Inca
qui ordonnait le temps, contemple impuissant
les pluies sanglantes et l'éclair dans la Puna.
Le lac est le miroir déversoir de ses larmes
la forêt déserte, un silence assourdissant,
après un dernier cri qui a sonné l'alarme,
planent dans le ciel les ailes du toucan.
La lune disparaît dans un essaim d'étoiles,
laissant la pyramide aux peurs de la nuit
où glissent en silence des vierges pâles
dans les fumées d'encens, un prêtre les suit.
un premier rai d'or perce la cordillère,
le tumi et l'éclair immolent un llama blanc,
et l'Inca sur l'autel accomplit le mystère,
il mêle la chicha, le soleil et le sang .
Un arc-en-ciel noir se pose solennel
altérant la beauté de son divin visage ,
et quand l'ultime cœur expire sur l'autel
on apporte à l'Inca un dernier message .
Atawallpa comprend qu'il n'y a plus d'espoir
La terre est triste là-bas ,dans les montagnes ,
Issicha vois-tu cet arc-en-ciel noir ?
Il vole comme une horrible flèche et l'éclair l'accompagne,
pourquoi l'Inca ne peut-il le voir ?
Au Cuzco le traître a rendu les armes
il serre entre ses dents les racines de la terre ;
Atahualpa a le visage baigné larmes ,
sa main retient le temps, son cœur désespère.
et ses yeux qui n'étaient que soleil,
sont maintenant de plomb;
Inti l'entraîne dans le grand sommeil,
l'Espagnol fait tonner le canon:
les vierges solaires suivent en tremblant
offrant leur corps frêle au dieu vengeur;
aux llamas qui pleurent, on arrache le cœur,
la pierre de l'autel est rouge de leur sang.
Dans l'éclair du tumi , lame d'or tragique
on implore le Soleil pour qu'il vienne enfin,
résurgence des mythes, des rites antiques,
avec, Pachacutec, sauver les temps indiens.