les deux cyprès
immuables, intangibles,
sûrs de leur éternité,
qui se dressaient devant la façade
et s'élançaient même au-dessus du toit
et de sa triple génoise,
dont les cimes seules se balançaient
sous les vents violents,
qui cachaient au printemps
un nid de chardonnerets
dans leur cylindre de verdure
et qu'enlaçait vers le bas
un pied de vigne ensauvagée,
qui laissait pendre l'été,
au-dessus du bassin ,
des grappes à petits grains
qu'on picorait
entre deux traversées,
les deux cyprès ne sont plus là,
abattus, anéantis, abolis ,
il ne subsiste d'eux
qu'une empreinte en creux,
un manque, une absence
devant la façade retrouvée
. . . . . .
les deux cyprès, leur chair à nu,
leurs corps tronçonnés,
en morceaux empilés
impeccablement en rosace,
forment maintenant
une fleur en corolle
sous les lauriers,
à l'autre bout du jardin;
rêvant sans doute à leur splendeur
passée,
étreints par le sentiment
de leur néant actuel l
mais rassemblés en tas
dans un nouveau corps à nu
plus solidaire et offert aux regards,
comme un ex-croyant face aux cieux
soudain vides mais qui ,
rendu à lui-même,
retrouve la beauté des choses
et nous là, fascinés par la mort,
l'effacement de ces deux géants
qui ne nous ont même pas laissé
leur ombre