le son tremblant de l'angelus du matin,
le presque-oiseau tout nu l'entend
à travers la coquille aux fines parois,
et aussi le petit d'homme au corps fragile,
transparent, parcouru de veines
au sang noir, dans le ventre de sa mère
la caresse d'une main forte, puissante,
surtout la caresse d'une voix proche,
et déjà connue, plus que des vibrations,
presqu'un chant, vieux patois régional
que ses parents lui interdiront plus tard
et dont il ne prononcera jamais un seul mot,
mais qui bercera ses nuits, jusqu'à la mort,
à l'égal d'un regret, ou de ce vieux français
qu'on retrouve avec la même émotion
d'un retour au pays, au passé séculaire,
à la lecture de Montaigne ou de Rabelais,
plus qu'une autre la vraie langue maternelle
peut-être, et l'on naissait ici avec l'accent
alsacien, là béarnais, dès le premier cri
le parler greffé sur le vivant,
dès avant la naissance
enfant, les mots sentaient la terre, l'herbe
et les bois, ils avaient le goût douceâtre
ou âcre des cris, des pleurs ou des rires,
mais plus tard, ils ont perdu cette saveur,
cette consistance du réel par la rencontre
de la langue de l'autre, de l'Auteur révéré
et inaccessible, sacralisé par les maîtres
et au discours d'un classicisme si pur,
si conventionnel qu'il éteint en soi tout feu,
tout élan spontané et naïf, et surtout
le désir d'écrire qui, à la difficulté d 'exister
ajouterait cette autre difficulté de l'écrivain
d'exister pour les autres
ces années-là, l'être de langage disparaît,
sauf peut-être dans le rêve et l'amour,
et il faudra attendre un hasard heureux,
comme l'expérience d'une autre langue,
dans un nouveau pays, une terre inconnue,
pour jeter bas la défroque qui colle à sa peau,
pour se retrouver nu comme un enfant,
lavé de son passé, prêt à renaître différent,
mais à nouveau transparent à soi-même,
neuf, innocent, ouvert et intrépide, prêt
à toutes les aventures, aux découvertes,
au danger des rencontres en terre vierge,
pour ressentir à nouveau l'étonnement,
l'hésitation, le vertige devant l'inconnu,
et, oubliant les interdits et les contraintes,
pouvoir alors, sans masque et sans peur,
pousser enfin son vrai cri d'homme libre