au détour du couloir, dos au mur sous le rai de lumière qui sourd entre deux pierres,
ses deux pieds encore prisonniers de la matière informe, du tronc mal dégrossi d'un chêne,
un grand corps hiératique - ni femme ni homme -, visage impassible, lèvre ourlée et yeux clos,
cou long et massif d'un boa endormi ou d'une pouliche altière
et l'enfant engagé dans son ventre comme la colonne au pilier d'une cathédrale,
la tête haute, une balle - ou le monde - dans ses doigts,
mais surtout cette main immense sur son ventre, main apaisante de la vierge-mère
ou plutôt main impériale et aux doigts effilés du père,
impavide sous sa couronne qui enserre sa longue chevelure,
et, avec cette tranquille et caressante langueur de l'hermaphrodite ,
le paysan-sculpteur savoyard n'ayant pu trancher entre sa dévotion à la mère,
la sainte Marie, femme parmi les femmes, mère entre les mères,
et l'appel si longtemps étouffé de l'enfant qu'il est encore vers un père
à l'allure froide et hautaine du Commandeur sorti arbre de la forêt,
mais qui reçoit sa forme nouvelle de l'homme son bourreau et son sauveur ,
ce Pygmalion lui conférant, par ce même geste qui le nie, le révèle et le tue,
l'éternité
le fils engendrant et réhabilitant en retour le Père tour à tour aimé, admiré, haï, déchu, absous, tout confondu
détail troublant qu'on ne perçoit pas au premier abord, suprême énigme , au-dessus de ses yeux étrangement fermés,
son regard tourné vers l'intérieur comme Bouddha pour mieux comprendre le monde,
la statue est marquée au front du tilak , troisième œil de Shiva,
à moins qu'il ne s'agisse de la marque de la prière des musulmans, qui n'est pas un gage de piété
car, dit un exégète du Coran, "il se peut qu’un homme plus dur de cœur que Pharaon la porte entre ses yeux" !
le sculpteur anonyme lui-même ignorait sans doute le secret de cet être singulier, ambigu,
dont, par la grâce de ses mains malhabiles, avait accouché l'arbre.