SOUS-SOL PARISIEN
Ton sous-sol, cher Paris, mille fois sondé, percé, foré, forcé, fouillé, fouaillé, violé, exploré, torturé, éventré, évidé, étripé, dépecé, écartelé, explosé, bref…un tout petit peu tourneboulé, recèle évidemment encore bien des surprises esthétiques ou sentimentales, propres à émerveiller tes amoureux et leurs futurs rejetons.
Car au cours des dix-huit premiers siècles de tes deux millénaires d’existence, les atteintes à ton intimité ne furent, il faut bien le dire, que très superficielles, et les architectes ne se sont rendus vraiment coupables sur toi que d’attouchements ponctuels.
Et aurais-tu eu à les juger que tu leur aurais à coup sûr accordé, au vu de leurs louables intentions, le bénéfice des circonstances atténuantes.
Certes, on n’en est plus là , et les deux derniers siècles, pour te plier à leurs exigences, n’ont pas hésité à passer au stade du viol caractérisé, et, osons le dire, du viol en réunion…
Pas un mètre carré de ton épiderme qui n’ait été ouvert puis recousu, scarifié puis ravaudé, rapiécé, recollé, rustiné ! Et sans doute, aujourd’hui, pas un mètre cube de ton derme sous-jacent qui n’ait été remué, retourné, chamboulé…
Jusqu’aux couches plus profondes de toi que la machine, de plus en plus performante dans l’exploration hardie, permettait enfin à l’homme d’atteindre et de remodeler.
Homme éternel bâtisseur !
Depuis si longtemps, il ne se contentait plus de ta surface, et il s’était essayé vers le haut avec succès.
Mais virant mégalo, un soupçon de raison lui fit abandonner juste à temps ses excès de béton aérien et leurs tours de tournis.
Revenu à ton sol, naturel ou artificiel, et maîtrisant de nouvelles techniques que la nécessité l’avait poussé à inventer, c’est vers le bas qu’il cherche aujourd’hui son salut obligé.
C’est donc dans l’enfouissement en ton sein protecteur qu’il bâtit ses nouvelles cathédrales et leurs multiples cheminements d’accès.
On n’en finirait pas de passer en revue les galeries souterraines de l’utilitaire, de la communication, de l’équipement, de l’alimentaire, du récréatif et du culturel…et j’en oublie encore sans doute, bien tapies dans ton sous-sol !
Immense entreprise que de tenter le recensement de ce que l’homme a déjà réussi à dissimuler dans tes larges entrailles !
Toi, mon bon Paris, qui à peine plus d’un siècle en arrière ne réservait tes trous de gruyère qu’à quelques emplacements assez limités et relativement peu profonds, pour faire couler tes fontaines ou s’évacuer tes égouts, ou pour extraire ton gypse et exploiter tes carrières, te voilà aujourd’hui condamné au viol généralisé et au gavage de béton forcé… !
Quel foie gras sublime nous prépares-tu donc ?
PANAME