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J.G. Mads

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Publications sur Toute La Poésie

Le Massacre du 18 Mai

19 mai 2018 - 01:21

les couleurs ne passent pas ! bah démerdez-vous ! je voulais vous esspliquer c'est quoi la poézi bande de foirouilleux

 

ciao

J'accuse l'école rombière de gâter les mômes (bis repetita...)

21 avril 2018 - 10:28

Depuis plus de quinze ans je travaille à l’usine qui fabrique les imbéciles du futur proche. Ma spécialité : l’échec. (J’allais écrire « le sabotage » mais force est de reconnaître que, à part ma santé, j’ai pas réussi à saboter grand’chose.) Le collège est une péquenaudière. On y castre les coeurs, on y constipe la curiosité, on y sournoise les âmes, ratatine l’espièglerie jusqu’au nihilisme. Bagne où les gamins concassés perdent quatre ans pour ressortir avec le QI d’une boîte de conserve. La dèche emporte ces damnés cancres qui n’écoutent point leurs maîtres. En savent-ils assez ! Conseils au cul ! Vive la paresse ! Ils fanfaronnent gaudriolent ah ça les fait ricaner "le courage ou la mort-vivance ?"... Comment les faire progresser ces clients confortablement englués dans le sentimentalisme factice, réfractaires à l’ennuyeuse analyse, hostiles à l’horrible Beauté, ennemis de la trop sévère Vérité ?

Mes latinistes, qui ne veulent pas tous remplacer le pape François, ne se lassent de me le demander : « À quoi ça sert le latin ? » – Je remarque que le collège s’est transformé en gigantesque AUTO-ÉCOLE où on leur fait religieusement passer de longs examens sur le code de la route, à la suite de quoi ils obtiennent des permis obligatoires pour circuler en deux-roues… parce que tout cela est très utile. J’observe que le collège s’est mué en gigantesque HÔPITAL MILITAIRE où on les initie au secourisme (exercices, examens, diplômes…), où on les prépare à affronter les incendies, les attaques nucléaires et les terroristes parce que c’est très utile. Je constate que le collège fait appel toute l’année, pour les quatre niveaux, à d’innombrables INTERVENANTS EXTÉRIEURS chargés de leur expliquer un tas de trucs très utiles : flics, pompiers, gendarmes, moniteurs de trottinette, éducateurs, juges, psychologues, infirmières stagiaires, chefs d’entreprises à la gomme se succèdent pour les prévenir... Bien, tout cela est très, très utile. Mais le latin ? – Déjà, les enfants doutent de l’utilité du cours de français : ils n’ont pas attendu le professeur pour faire usage et merveille de leur langue. Pas facile d’enseigner l’incompréhensible à de tels savants. L’enseignement du latin est utile pour résister à la dictature utilitariste justement. À foutre du marché de l’emploi ? Je fabrique des individus libres et forts, moi, pas des moutons de Panurge.

J’affirme que les mentalités des enseignants au collège posent problème. Au nom de l’égalité et de l’équité (réputées républicaines et démocratiques), l’élitisme (réputé aristocratique) y est proscrit par ces partisans de l’éducation sans douleur qui affaiblissent intellectuellement les nouvelles générations en les privant de tout effort, rigueur, oxygène, exigence, progrès authentique. C’est l’idéologie gnangnan qui domine, l’idéologie grand-merdisante j’appelle ça. Plus le niveau est bas, moins tu exclus de mômes... joli principe ! Ambition ultra magnifique ! Car tous mes collègues rombières hommes et femmes ont absolument horreur de l’exhaustivité. Horreur de la précision. Horreur de la complexité. Ils n’aiment que le gros pré-mâché vague. On ne doit pas se distinguer, d’après eux, l’orgueil est un vilain défaut, etc. Ectopléonasmes ambulants qui n’aiment que la poésie poétique, ils infantilisent les enfants. Ce maternage dont ils se rendent fièrement coupables maintient les gamins dans l’ignorance et contredit le mot même d’ÉLÈVE qui devait pourtant les inviter à viser un peu plus haut.

Or l’ascenseur social fonctionne à l’élitisme, pas le choix ! Il s’agit d’entrouvrir les lourdes d’airain de la culture classique aux volontaires de toutes extractions. C’est le merveilleux cauchemar mythologique qui attire les Sixième dans mes larges filets gréco-latins, pas l’étude de la grammaire.

Or, globalement, l’ouverture culturelle phagocyte l’apprentissage linguistique : on ne peut pas tout faire. Il faudrait terroriser ou assommer les kids avec leurs leçons de grammaire pour qu’ils les retiennent vraiment, et personne n’a envie d’en arriver à de telles extrémités. Il faudrait deux à trois fois plus d’heures. On fait naufrage en ménageant la chèvre culturelle et le chou linguistique. La plupart ne poursuivront pas l’option au lycée : tous les petits bonheurs cumulés, glanés, ne pèsent plus rien en regard de ce constat d’échec. C’est le mien, du moins. Le chemin est très, très joli, fructueux, mais sans issue, car ils se lassent de mémoriser les déclinaisons, les conjugaisons, etc., le vocabulaire… de cette langue écrite et enterrée.

Je sais des collègues plus habiles qui obtiennent de meilleurs résultats que moi : ils les corrompent par les goûters, les péplums, les jeux, les sorties, les voyages… Bah ! Revenons sur ce « chemin très joli » : trois années d’humanités qui, quoi qu’il en soit, nourrissent considérablement les élèves. J’ai tout le loisir d’observer et de mesurer leurs progrès, et je ne crains pas d’en attribuer l’origine, au moins pour une part, au cours de latin.

Prenons les guillemets autour de « race », en voilà des pincettes en or qui mériteraient l’article. Je me sers à mains nues de ce mot tabou, en général, pour en réfuter le concept. Eh bien, pour l’enseignement du latin, on dirait que c’est pareil : mon cours sert moins à glorifier les anciens fétiches qu’à remettre en cause les représentations, structures et valeurs dont nous avons hérité. Comme mon boulot consiste à les affranchir, ces gosses, je leur explique notre dette historique, morale, philosophique, artistique, littéraire, etc., en la critiquant sous toutes les coutures.

 

♦♦♦

 

(Aucune vie humaine ne vaut plus qu’une autre, fût-elle savante ou innocente.)

Ne pas réduire, pour commencer, l’intelligence à la maîtrise d’un ou même plusieurs domaines. Quelque aptitude particulière ne suffit pas à définir ce vaste savoir-faire tonique et sensible qu’on nomme l’intelligence. Et le pauvre n’est pas plus sympa que le riche, ni plus con que la moyenne : il est bien né s’il est bien entouré. Le collège, dont le but est d’accroître autant que possible l’intelligence des petits entre 10 et 14 ans justement, a mille fois raison de combattre la ségrégation sociale, pas scolaire. Les « paresseux-imbéciles » mal entourés qui représentent environ 20 % des gosses, les « paresseux » qui ne veulent pas fournir les efforts nécessaires et les « imbéciles » qui ne le peuvent pas, requièrent d’après moi une prise en charge adaptée, au moins temporaire, afin que tous les autres (80%) puissent bénéficier d’une éducation digne de ce nom.

Si la misère n’est pas propice au développement de l’intelligence, elle n’est pas rédhibitoire non plus. Les « paresseux-imbéciles » n’ont pas qu’une seule origine sociale. À quoi voit-on que notre système éducatif est pauvre, lui aussi ? À tout l’argent qu’on lui demande d’économiser. Le « collège unique » est un concept républicain qui ne coûte pas cher – en apparence seulement ! En réalité, ce que la noble Mixité nous offre d’une main généreuse, Elle le reprend largement de l’autre, car il y a beaucoup plus de personnes intelligentes à devenir stupides que l’inverse.

La mixité sociale nous élève et nous renforce autant que la mixité intellectuelle nous dégrade et nous affaiblit.

Aussi quelle ne fut pas ma déception, à deux mois d’intervalle, d’entendre mes collègues (lors d’une assemblée générale) puis mes confrères (lors d’un séminaire de Lettres classiques) employer le mot « élitisme » dans un sens péjoratif… Bah ! Je souhaite maintenant fêter l’anniversaire de ce brave nom commun : un demi-siècle... Je débouche un bon Robert 93, et là surprise !

 

ÉLITISME n. m. (v. 1967) – Politique (de formation, de gestion) visant à favoriser et à sélectionner une élite, au détriment du plus grand nombre. Il faut renverser l’esprit de notre enseignement qui souffre de la maladie de l’ « élitisme ». (Le Figaro, 1967) Voir aussi mandarinat

 

Le synonyme final comme l’exemple édifiant et la définition suspecte qui précèdent sont bien péjoratifs, mais le nom « élitisme » non. (Pas encore, du moins. Je me demande pour combien de temps. Je me demande combien d’autres mots français sont nés ainsi avec une mauvaise étoile. Je songe au noir destin de l’adjectif « glauque »…) Ici « au détriment » prête à confusion, en effet, puisqu’il laisse entendre que cette « politique » désavantagerait de fait « le plus grand nombre ». Sauf que celui qui n’a pas été choisi n’est lésé que s’il méritait d’en être. (Nous connaissions déjà le problème avec la « discrimination », cette noble faculté récemment travestie en crime.) Qui « mérite », donc, d’étudier le latin et le grec ancien ? – Actuellement, les seuls élèves volontaires... ce qui fâche les puissants ennemis de l’élitisme qui y voient l’exclusion du « plus grand nombre » ! On devine pourtant ce qu’ils pensent de ces absconses vieilleries qu’ils aimeraient voir remplacées par des disciplines un petit peu « plus utiles ». Bref. Les contempteurs de l’élitisme ont gagné les dernières batailles (en témoignent nos efforts désespérés désespérants pour proposer à nos jeunes « clients », à présent, des séances « LCA » à «  0 % d’ennui* »...) mais, comme on dit, ils n’ont pas encore gagné la guerre. Hé hé. C’est « le plus grand nombre » qui s’exclut tout seul : d’une. Est-il raisonnable, au fait, de pousser l’anti-intellectualisme jusqu’à nommer « exclusion » ce choix majoritaire de ne pas suivre un enseignement facultatif ? J’ai toujours été partisan du « latin pour tous » obligatoire, comme la philo, dès la Sixième, et de deux. Troisièmement, il existe bel un lien naturel entre l’élite (ancien participe passé du verbe « élire ») et l’option en question (du verbe latin optare « choisir ») : toutes les deux sont choisies !

Je ne désire point détailler les innombrables vertus du latin, mais insister sur celles de l’élitisme. (Je remarque, en passant, que ce système honni ne pose soudain plus aucun problème lorsqu’on parle de sport-étude.) Notre problème n’est point de former ni de fournir des élites pour la patrie, c’est ridicule, et les humanités de toute façon n’ont plus ce pouvoir depuis très longtemps. Il s’agit plutôt de faire fonctionner ce qu’on appelle l’ascenseur social, et l’élitisme représente l’électricité qui permet ce miracle : ouvrir, je le répète, en grand les portes de la culture classique, des études supérieures, y compris à ceux qui ne sont pas nés au bon endroit. Aiguiser leur esprit critique, préciser et approfondir leurs connaissances, nuancer leur pensée, développer leurs capacités intellectuelles, affiner leur sensibilité, leur compréhension, les initier à la rigueur, au plaisir de l’effort et de l’étude... Ce qui réclame des heures et des heures de cours hebdomadaires. Parmi les grands objectifs concrets il y a la version latine, par exemple, un exercice qui renvoie dans les cordelettes de l’école primaire** n’importe quelle « tâche complexe ». – Car les statistiques peuvent induire en erreur : pendant que l’on constate, ici et là, une représentation importante des classes sociales les moins défavorisées, on occulte partout l’enrichissement providentiel des plus pauvres.

Les enfants et les adolescents savent jouer avec beaucoup de profit, toutefois les adultes ne sauraient leur faire croire (trop longtemps) qu’on peut tout étudier en s’amusant. C’est, j’estime, une grave erreur de prendre au sérieux la pédagogie comme on le fait depuis des décennies ; elle n’est qu’un gadget anecdotique, une série d’astuces pour animer les cours. Le niveau universel qu’on vise, il n’est guère élevé. Quand nous devons initier ces jeunes à la complexité, le pédagogisme vient tout simplifier. On voit que les malentendus sont à la hauteur des enjeux. Il ne tient qu’à nous d’insuffler le goût de l’effort intellectuel aux nouvelles générations.

J’y ai été formé à l’âge de dix-huit ans, à la pédagogie de projet, je la connais bien. Idéale dans le cadre des loisirs, elle est un poison mortel à l’école car, à mesure que les professeurs deviennent des animateurs, les enfants réclament davantage de divertissements. Cest la réalisation approximative du projet qui devient le but, l’enseignement lui-même étant ravalé au rang de moyen, d’accessoire. Les enfants apprennent des trucs, pour ainsi dire, à leur insu, indirectement. En instrumentalisant de cette façon les savoirs, on les caricature tellement qu’on en arrive à créer de la bêtise pure. Quod erat demonstrandum.

 

* pour qu’ils aient envie de continuer l’option au lycée, aussi

** « ludus » en latin

AD.FINEM.CANTABIT (1)

14 mars 2018 - 12:30

Les sombres poètes font de très beaux épouvantails dans les flammes. Le demi-dieu qui façonne la Beauté fascinante avec de la violence, la populace mesquine ne sait le remercier qu’en le lynchant. On reproche, en quelque sorte, à Louis-Ferdinand Céline, la Shoah, comme Bertrand Cantat serait l’assassin éternel de toutes les femmes. Quel anti-romantisme écoeurant. Quelle bêtise. Impossible de réduire Céline à son antisémitisme, et bien sûr aucun lien de cause à effet entre ses pamphlets et la "solution finale". Impossible de réduire Cantat à l’accident mortel qu’on sait – et d’en faire un bouc-émissaire ne résoudra pas le problème de la "domination masculine".

Ces deux écorchés-là, qu’on essaie de faire passer pour des ordures, ne sont pas des saltimbanques du dimanche mais des artistes d’exception qu’on devrait vénérer car, en sacrifiant leurs vies ardentes, ils nous ont offert des œuvres incontestablement sublimes.

La Féministre postiche qui hurle en ce moment gna-gna-gna avec les louves, elle pense quand elle pète ? Qui lui demande son opinion ? Raphaël Enthoven fait partie des très rares personnalités, en France, à avoir compris l’innocuité comique des pamphlets de Céline, mais il accuse Cantat d’obscénité. Dommage, c’est.

RABELINE (1)

09 mars 2018 - 10:25

L’ogre littéraire sans doute le plus attachant du XXè siècle nous repose, avec ses pamphlets antisémites grotesques, l’éternel problème de la moralité artistique. On repense aux vieux procès de 1857. « Qu’est-ce que la poésie ? » Tout ce que Louis-Ferdinand Céline a écrit répond totalement à cette question. Le Rire et la Mort. Humour noir à 1000 %. La haine comme matériau et outil de création. Au récit, Aristote oppose le drame ; Benveniste, le discours. Or, en relisant chronologiquement tout Céline, on s’aperçoit de son effort régulier pour s’émanciper du récit en tant que propos déraciné, fiction. Comme il désire le théâtre, il choisit l’énonciation de plain-pied. Qui parle ? Son double « Bardamu », alias « Ferdinand », dit « Céline ». Vaste mouvement centripète vers la confession, le monologue. Un écrivain ne saurait parler que de ce qu’il connaît, c’est pourquoi la fiction se voit ici réduite à quelques grosses gouttelettes de « transposition ». Et d’où parle-t-il, ce double lyrique de l’auteur ? De sa nacelle de montgolfière. Les « gouttelettes » sont d’énormes sacs de lest. Il monte, Louis Destouches, dans l’atmosphère du roman autobiographique, il troue la troposphère du pamphlet et s’élève ainsi, d’un genre l’autre, jusqu’à la chronique stratosphérique, jusqu’à faire de son oeuvre et de sa vie une seule et même terrible épopée shakespearienne. L’évolution sensible de son style, de plus en plus lapidaire, halluciné et musical (comme chez Beckett ou Duras, plus tard), illustre encore la profondeur de son empreinte prométhéenne dans la littérature.

Bagatelles pour un massacre (1937), L’École des Cadavres (1938) et Les Beaux Draps (1941) sont des monologues extérieurs. Des pamphlets, officiellement. Le masque du narrateur ne tient donc plus. Finis « Bardamu », « Ferdinand », « Céline » (pseudonyme sur lequel nous reviendrons toutefois) : LOUIS DESTOUCHES QUI CAUSE même s’il emploie indifféremment pour se désigner « Ferdinand » ou « Céline ». Un pamphlétaire s’exprime personnellement ; le théâtre ne se raconte pas. Mêler réalité et fiction, quand on fait des romans, c’est une chose ; lorsqu’on produit des discours, une autre. « Bardamu », « Ferdinand » et même – et surtout – « Céline » ne sont que des créatures. Des créations. C’est Louis Destouches le créateur, l’auteur, l’acteur. « L’écrivain Louis-Ferdinand Céline » n’est qu’un rôle, un personnage monstrueux qu’il joue à fond… pour rire et faire rire.

« C’est quoi qui arrive ? »

07 février 2018 - 03:47

Alors j’ai dit dans sa langue à Lester : « Votre musique hybride The Doors et Nirvana » et là, le jeune roadie post-aztèque qui suivait notre « conversation » m’a regardé noir (molossale bouffée de vapeur de taureau ailé, un vrai nuage). Le roadie et Lester étaient adossés au car qui allait les pousser jusqu'en Belgique, roadies, groupies et musiciens, pour la suite de la tournée européenne. Décollage imminent. Nous étions fin octobre, sur un trottoir parisien. À fumer fanatiquement. Il était mille fois deux heures du matin. J'ai cru bon de me justifier : « Joe, à mon avis on devrait t’appeler Sister Ray Manzarek et Brian, c’est Kurt Morrison... »

Moins surtout lui qu’on attendait, Brian Aubert, le chanteur du groupe, tuez-moi et je vous en parlerai objectivement.

Joe Lester, sans toutefois dissimuler sa surprise, opinait, souriait ; le roadie, renfrogné, pas. On planait assez haut et fort de causer avec un Silversun Pickup, Erz et moi.

Joe fait jouir les claviers électroniques ; lui et le batteur Christopher Guanlao ont le même style adulescent californien post-grunge. Brian et Nikki, la bassiste, forment le coeur nucléaire de la bande, le volcan vocal. On parle de rock doux et dur, élégiaque, chaleureux, sémillant, intense. Ceux qui croient déceler trop de sucre dans la voix enfantine lée de Brian n’ont qu’à ôter le miel qui bouche leurs oreilles, il chante plus divinement qu’une sirène d’Odyssée. Et joue de la guitare mieux qu’Orphée. Brian est arrivé, justement, Orphée, il m’a serré dans ses bras angéliques après avoir étreint Erzébeth. Nous avons échangé quelques mots avec lui, Nikki et Chris. Puis ils sont tous partis. Alors nous aussi.

 

« C’est quoi qui arrive ?... » À dormir les yeux ouverts sur les bancs publics avec fumigène dans une main bouteille dans l’autre dans les angles morts des cimetières des squares des parcs loin des méchants, sous les ponts où il y a de la place, au bord des routes et des rivières dégueulasses, assis debout usé à aller – bruits génitaux de mes baskets après la pluie – j’essuie ma barbe écaille-de-tortue où la bière a coulé avec mon bonnet, j’écris n’importe quoi ce qui arrive dans mon carnet – à me plaindre crever de déploration sur mon radeau percé jusques au fond du coeur... J’écoute une émission de radio intéressante sur François Ier (nous avons la même taille), le tramway en vue ralentit, une vieille Gorgone aux yeux blancs, à côté de moi, ne cesse de hurler : « C’est quoi qui arrive ? C’est QUOI qui arrive ?... » Comme tout le monde l’ignore, au moment où les portes automatiques s’ouvrent, j’ôte une de mes oreillettes pour lui répondre : « Un tram... » L’horrible naine, j’ai cru alors qu’elle allait me frapper avec sa canne, me déchiqueter : « Un tram ! Je le sais bien que c’est un tram, connard ! » Une bonne femme heureusement lui balance en passant « Direction Hôpital » avant d’ajouter presque aussitôt (voyant que l’ingrate semblait connaître grâce à elle une sorte de soulagement au milieu de sa haine aveugle) «... Ne me remerciez pas, surtout ! » Cette brave femme avisée et moi penaud dans le wagon, portes fermées ; l’autre vieille bourrique odieuse restée sur le quai où elle fulmine encore... « C’est quoi qui arrive ? » C’est le tramway qui t’écrase, Madame !

 

Âmes frangines, quel bonheur fantastique d’avoir traversé le miroir pour vous embrasser ! Quand j’étais au lycée, en 93, un copain de copain à moi abonné à une revue rock a gagné un week-end à Seattle avec Nirvana qui s’apprêtait à sortir In Utero. Il avait répondu à une question posée par son magazine préféré, c’était un concours.

- Je rêve ! C’était quoi le concours ? C’était quoi la question ?

- « Imaginez le lieu idéal pour le clip de telle chanson... »

- Et il a proposé ?

- « Un cimetière ». Et il a gagné. Il y est donc allé.

- L’enculé !

Ouais... Et ensuite, l’enculé est revenu et il a raconté à mon pote Samir son putain de week-end, qui me l’a raconté. L’enculé l’a même autorisé à copier In Utero sur une cassette, si bien que nous avons eu le privilège de connaître cet album « testament » quelques semaines avant sa sortie officielle sur le vieux continent.

Et toujours quand j’étais au lycée, en 93, un copain de copain à moi encore m’a proposé une place en or dans une caisse pourrie pour aller assister à un concert de Nirvana en Bretagne. Mais non finalement, rien.

- Et ton premier pote de pote, c’était comment son week-end alors avec Nirvana ?

- Il a fait de la moto avec Dave Grohl. Et il s’est bien marré avec Novoselic.

- Et ?

- Et le chanteur de Nirvana a peut-être changé d’humeur en le rencontrant, mais certainement pas d’avis sur l’existence.

Quand les Silversun Pickups sont remontés dans le bus, boulevard de Rochechouart, j’ai remarqué qu’un de leurs roadies (peut-être bien le « taureau ailé ») portait un pack de Heineken... Qu’est-ce que j’en ai bu et pissé des hectolitres ensuite de cette flotte en pensant à eux ! La dernière fois que Brian Aubert m’a parlé, aussi, il m’a demandé du feu. Je lui ai tendu le bédo que j’étais en train de fumer, il a simplement allumé sa clop avec et me l’a retourné. Je n’ai pas racheté de haschisch, après, pendant six mois. J’ai pris quinze kilos. Quinze, parce que la bière Heineken, il faut en picoler pas mal pour voir la différence avec l’eau du robinet. Sur le fanatisme et le mimétisme il y a beaucoup à dire. Je ressemble à mes idoles, on me le rappelle encore. Pour moi l’Art est une religion et les artistes des divinités. Les œuvres d’art, dans mon système solaire, sont sacrées parce qu’elles expriment totalement la Liberté individuelle. Je ne place rien au-dessus de la Liberté individuelle. Peu de créateurs savent émouvoir jusqu’à l’inanimé, ces génies-là se taillent un joyaume miraculeux dans la matière même de la Beauté qui nous fait vivre. Je les remercie chaque jour en les adorant consciemment, en les imitant inconsciemment. C’est ça qui arrive.