Aller au contenu





Si tout commence un jour...

Posté par Emrys, 09 janvier 2018 · 1 201 visite(s)

"Le présent ?
À peine le vivons-nous que déjà nous le trahissons.
Rien de nos souvenirs n'en est l'exact reflet.
Ce ne sont que constructions.
Mais l'édifice que la mémoire érige n'a rien de fragile,
Dès lors que nous sommes convaincus de sa véracité."
 
 
Enfin, la voilà dans toute sa splendeur, cette cité impossible ! Ses rues vides, ses tours de verre lumineuses, et quelque part l'impression d'y être déjà venu.
Combien de temps avait-il fallu à Izen Hollow pour arriver jusqu'à elle ? combien de déserts traversés ?
Elle, Vacuum City, cette ville que personne ne connaissait mais dont tout le monde parlait.
De combien de cités peuplées de putains au grand cœur et de truands à la petite semaine s'était-il rendu maître, avant de décider de s'y rendre ?
Izen Hollow était riche. élu Sénateur de son État, il ne comptait plus ses Eldorados, son or ruisselant, ses luxueuses limousines, l'étendue de son pouvoir sur les faibles. Il était un éminent professeur de médecine.
Il avait mille fois fait fortune, s'était mille fois ruiné au jeu - pourquoi renoncer aux revers de cette dame quand on la sait labile ?
C'est en homme riche qu'il quitta ses terres pour se rendre à Vacuum City.
Le monde sur lequel il régnait alors lui semblait trop étroit. Il s'y ennuyait et, rien de plus terrible pour un homme que de connaître l'ennui.
Aussi tenta-t-il l'impossible: conquérir Vacuum City, ce mythe éternel, entrer dans la légende, être le premier homme à s'y rendre et à en revenir. C'était là son dessein.
Mais voilà, personne ne savait vraiment où se trouvait cette ville. Tous croyaient pourtant détenir une information, qui une vague route, qui une personne qui connaissait une personne qui savait où la trouver.
L'inventer ? ce ne fut pas chose facile pour Izen Hollow. Il dépensa son or en pure perte pour des tuyaux percés, se retrouva nu, perdu au milieu du désert.

Il désespérait, quand un vieillard aveugle, beau comme un prophète, lui indiqua la route à suivre: Vacuum City ? mais elle est là juste après ce canyon. Vous ne pouvez pas la rater.
À moitié nu, Hollow n'avait qu'une montre à offrir à cet homme pour le remercier.

Enfin la voilà ! Il avait réussi.

Aux portes de la ville, il remarqua l'écriteau pour le moins étrange: Veuillez déposer vos bagages à l'entrée ! D'habitude c'étaient les armes que l'on demandait de rendre.

Il se présenta au coroner, un homme au regard sévère à qui on ne pouvait pas mentir: Qu'avez-vous à déclarer ? il demanda sans prendre la peine de percer Izen de son regard.
Je suis venu sans rien, répondit Hollow.
Il leva ses yeux pénétrant vers Izen troublé qui balbultia: J'ai mes projets et ma mémoire...
Merci de les déposer là ! dit le fonctionnaire indifférent.
 
Le vague sentiment qu'eut Izen Hollow en entrant dans Vacuum City fut des plus étranges. Une impression de n'être plus.

Les regrets d'avoir déposé projets et mémoire à l'entrée de la ville lui faillirent, le temps de la métamorphose immédiate presque brutale, de la chute sans vertige.
Il ne sut rien d'un avenir qui n'exista plus et n'avait gardé la mémoire de rien.
La vie ne l'avait pas quitté pour autant, enfin pas tout à fait.

Si vivre est courir sur un tapis déroulant le présent suspendu comme un pont fragile entre passé et futur, si vivre est basculer toujours entre deux rives, l'une qui nous appelle l'autre qui nous retient, alors vivre est un compromis que la règle à Vacuum City n'admettait pas.
Son présent, si on peut encore appeler ainsi un temps sans repère, Izen ne l'avait pas rendu. D'ailleurs personne ne lui avait demandé de s'en débarrasser.
À Vacuum City, les deux rives vers lesquelles tendait toujours l'espoir des hommes étaient effacées, pour ne conserver que celle qui ne semblait être rien d'autre qu'une illusion, l'autre rive; celle qui n'existe pas vraiment et qui pourtant chaque instant fait que nous sommes.

Hollow avait juste senti sa volonté s'éteindre après avoir déposé ses bagages. Et puis plus rien.

La Haute Autorité avait donc décidé pour lui, en fonction du poids du dépôt . Elle lui avait attribué une durée non arbitraire, un instant présent pertinent dans sa contingence, qui, comme c'est la règle à Vacuum City, n'était relié à rien.
Il avait revêtu l'habit gris des citoyens de la ville et la durée de son présent fut gravée dans ses yeux. Sept secondes, pouvait-on lire.

Pour Hollow, sept secondes suffirent à vivre un présent qui ne se déroulait plus.
Sept secondes n'étaient pas du temps compté dans une vie mais du temps abstrait, extrait du néant, une durée que les fonctionnaires de Vacuum City avaient comme toujours pris soin de vider de sens.
Sept secondes à vivre en permanence au présent.
Sans le savoir Izen s'en accommoda.
Il déambula dans les rues au gré de ce temps vide, croisa les regards sans couleur, dépourvus de vie, marqués du sceau de la présence inutile, sans les voir.
 
Il n'est guère d'histoire qui n'ait pas de fin. Si tout commence un jour dont personne n'a le souvenir, la fin et la vie qui l'a précédée laissent derrière elles une sorte de concrétion à laquelle la pensée peut s'accrocher.
Vivant des histoires où le temps s'écoule en un goutte-à-goutte continu, nous nous obstinons à écrire la nôtre, à l'inscrire dans nos mémoires dont finalement Chronos, en fin tacticien, efface l'essentiel, pour ne laisser qu'une marque à peine lisible, "a existé", sur une pierre, dans la terre ou entre les pages d'un livre.


À Vacuum City, rien de tout cela. Pas de passé, pas d'avenir, pas de mémoire, donc, pas d'histoire.
Or Izen était, selon ses désirs, les miens sans doute aussi, l'hôte de cette cité impossible.
 
Personnage encombrant pour l'écriture, donc pour un projet, moi qui n'ai pas de temps à perdre, j'aurai pu lâchement l'abandonner à son sort, lui dire: tu l'as voulu, je t'y ai conduit, maintenant débrouille-toi !
Mais, j'ai pour Izen quelques sympathies et puis, il m'a juré (l'inconscient !) de conquérir Vacuum City et d'en revenir.
Il faut dire que pour l'instant Izen n'est pas très coopératif.
Rappelez-vous ! il déambule dans les rues au gré de son temps vide.

Vaccum City ? parlons-en !
Bien qu'il me soit difficile d'en établir une métrique précise- Vacuum étant un non-lieu - j'ai pour vous quelques extraits des minutes d'un procès qui n'aura jamais lieu, et qui vous donneront, peut-être, une idée du forfait commis; car cette ville est un crime contre la psychologie des hommes qui depuis toujours ont poétisé la physique.
"À Vacuum, les hommes y sont assurés de la perception ponctuelle de leur existence intangible..."
"La matière y est de basse énergie, les interactions, faibles ..."
"Le temps demeure une donnée exotique (ou poétique, comme vous voulez). Rien ici ne donne l'illusion de son passage. Il reste donc toujours suspendu au dessus de sa présence - courbure infinie du mouvement des corps..."

Voilà les quelques informations dont je dispose.

Le temps pour Izen se résumait, selon la règle, à quelques secondes qui tournaient en boucle, sept exactement; suffisamment pour qu'un présent s'installe de façon non privilégiée.
Cela produisit chez lui, comme chez tous les citoyens de Vacuum, une sorte de conscience diffuse et instantanée d'être sans être, ici comme ailleurs, lui comme autre.
Aussi, lorsqu'il croisait dans les déambulatoires de la ville un autre lui-même, il ne pouvait savoir s'il s'agissait d'une simple image que lui renvoyait le miroir d'un temps inexistant ou une réelle altérité.
Tout ce que pouvait sentir Izen ne s'inscrivait ni dans le passé, ni dans le projet, de sorte qu'agir n'avait de sens que dans la simultanéité des faits qui se produisaient. Rencontrer, parler, aimer, manger, dormir, s'intégraient par partie dans ce temps court et mêlaient leur confusion synchrone à l'inutilité d'un dessein qui n'existait pas.
Le système vacuumien semblait sans faille.
 
"Bonjour Docteur Hollow ! Comment vous sentez-vous aujourd'hui?" lança le chef de service de l'hôpital.



Ma photo

1 utilisateur(s) actif(s)

0 invité(s) et 1 utilisateur(s) anonyme(s)

Bienvenue

Image IPB

Vous vous êtes échoués sur mes rives ?
Qu'importe comment,
qu'importe pourquoi
la dérive !
Vous êtes ici de pas-sage.
Laissez s'il vous plait
à l'entrée vos ba-gages.
Si je n'ai pour vous
pas encore de visage,
Apercevoir le vôtre m'oblige.
Hors de question que je vous néglige !
Permettez que
je vous guide sur mes terres !
Allons en extraire quelques vers



Les textes en prose

Ni cri ni geste-- Totale extinction -- La do mi ré fa la-- Concerto en sol-enterrement classique -- Unter den Linden -- Den a Noc-- L'enfant de sable

Les triptyques en prose

L'Aujourd'hier: Hier, l'attente -- Aujourd'hui, je te souris... -- Demain, on ne meurt que deux fois
L'ombre: L'ombre en été -- L'ombre en automne -- L'ombre en hiver

Les textes en série

Vacuum City
Veuillez déposer vos bagages -- Le temps de la métamorphose -- Si tout commence un jour

Les triptyques en vers

Recollection: Le départ--Les fausses larmes --Le compromis
La Clé: ...de la chambre -- ...du fragile édifice de sa vie -- ...d'une nuit entre toutes les nuits
Rendre ou se rendre: Je vous rends vos rêves -- Je rends mon corps à la terre -- Où se rendent nos âmes ?

La musique et Les mots

1 utilisateur(s) actif(s)

0 invité(s) et 1 utilisateur(s) anonyme(s)

Avril 2025

D L M M J V S
  12345
6789101112
13141516171819
20212223242526
272829 30