
L'Aujourd'hier [I]
Carmen III : L'Aujourd'hier
Je ne sais jamais où et quand le temps me prend. Demain me semble hier quand l'aujourd'hui perdu, je ne peux remonter ce fleuve térébrant qui perce mon avenir, souterrain incertain.
De grâce, laissez-moi attendre ! Attendre qu'il passe...
Attendre c'est tenter de remonter le corps d'un noyé gorgé d'eau.
Il y a dans l'attente plus de pesanteur que de grâce. De grâce, je n'en ai point. J'aimerais pourtant être ce reclus, ton reclus, cet emmuré volontaire du temps, ce saint homme qui croit savoir et avoir.
Moi je ne sais pas, je n'ai pas. Mais j'attends. La pesanteur de l'attente. Je sais qu'elle va venir.
Elle ne peut pas manquer nos rencontres, tant elles sont différentes, tant elles sont rares.
Je suis attablé dans ce café boulevard Saint-Germain. Et j'attends.
Paris.
Paris et son ciel bas. Son ciel de désespérance. Paris lourde, gorgée d'eau. Paris louve dans son sein, romaine dans son sexe, parisienne quand labile elle tombe sur ses trottoirs comme une pluie fine sur Brest. Paris la putain qui a ouvert ses cuisses humides mille fois. Alors pourquoi pas pour moi.
Je t'attends.
Tu entres et ton sourire est de miel, alors que tes yeux pleurent déjà.
Il arrive parfois que je me précipite. Vers toi, je veux tomber. Un saut à l'endroit. Une course à l'envers à laquelle je n'ai pas vraiment droit. Un abîme de toi. Une pluie tombée de tes yeux. Alors je freine ma course vers toi.
Tes yeux, je suis toujours étonné de les voir. Pourquoi as-tu un tel regard.
Une envie d'embrasser ton sourire, contenue par tes yeux qui retiennent tes larmes.
Pourquoi pleures-tu.
Je ne sais pas ton nom. Tu me le diras après. Après que nous ayons fait l'amour. La chair rapproche tu sais. J'attends ça aussi. Tu sais aussi que je serai loin, après.
Je ne le sais pas encore, mais tu partiras dormir pour toujours dans un petit cimetière du bout du monde.
Je ne le sais pas encore, mais tu resteras dans un coin de ma mémoire longtemps sans que je le sache. Un coin entre cœur et âme.
Je ne le sais pas encore...
Tu resteras plantée là.
Il en est parfois qui mènent vers d'autres rives...