Vertiges
L'activité de vivre est souvent transparente.
Il faut, pour en garder la mémoire immanente,
Inscrire son tracé dans le livre du temps,
Par les nombres obtus, sans aucun jugement.
Vous êtes né ? Vivat ! Que la métamorphose
Achève le grand œuvre à laquelle s'oppose
Inexorablement le vide sépulcral.
Vous vous tenez debout, bel animal,
Bravo ! Que votre esprit, s'éloignant de la terre
Équilibre le geste et la pensée légère !
Observez chaque jour ce qui s'offre au regard.
Cette nécessité constituera votre Art
- Car c'est bien de cela que parle l'écriture...
Apprenez à créer : c'est la grande aventure,
Aujourd'hui et demain, qui transmet le savoir,
Le don, la connaissance, symboliques pouvoirs.
Soyez donc créatifs, créateurs, maîtres d'œuvre,
Au lieu de paresser comme font les couleuvres :
Même si l'intérêt vous vient pour le climat,
Prenez soin des outils, des éléments en croix
Qui partagent le monde... Pour créer, l'énergie
N'a besoin que de vous, sur sa pente infinie,
Pour que force et beauté convergent au sommet
De la mission humaine éclairée désormais
Par le lointain soleil, fragile conscience.
Entre les éléments, construisez l'alliance.
Faire grandir le nombre est une ancienne loi
Dont on ne comprend pas le sens à chaque fois
Qu'il s'agit de compter. Les hommes ont une âme
- Et c'est insuffisant pour maîtriser la flamme
En tous endroits du monde où manque la douceur.
Prolifiques ici, nus, menacés, ailleurs,
Ils marchent dans les pas de l'histoire éternelle,
Enfantent, de l'esprit, la substance nouvelle
Et se prennent bientôt - c'est amusant, pour Dieu.
La quantité, peut-être, est l'or du religieux
Tout autant que l'inverse et l'on voit un problème
Arriver simplement comme une rime en aime
En guise de décor. Multiplions les mots,
La poésie par sept, par douze, par gros lots,
Pourvu qu'on y rejette, infâme, Anastasie,
La censure du roi ou de l'orthodoxie.
Mais de grâce mettons la sagesse à l'abri
De l'orgueil qui survient, hélas, en plein midi,
Quand nulle ombre n'existe à nos itinéraires.
Dans les livres discrets, les contes légendaires
Délivrent quelques clés dont sourit, cependant,
L'homme persuadé d'être maitre du temps.
Que n'a-t-il reconnu, dans la mythologie,
Quelques bribes au moins d'une quête infinie
Pour les enseignements qui jonchent le parcours
Des dieux et des héros d'hier et de toujours.
Quand la romance passe, en tenue de lumière,
On voit la vérité, toute nue, par derrière
Aiguiser le poignard de la postérité.
Vous connaissez la suite : on chérit le passé,
Le supprimé, l'ancien, faisant bonne figure
En marchant sur le fil tendu de l'aventure.
Hugo nous dit qu'aimer est plus que vivre, c'est,
De l'immortalité, le possible secret.
©M.KISSINE – ISBN 9782919390175
(illustration : fragment, Annie Valloire)
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