C'était un triste soir d'octobre. Le jour mourait à l'horizon dans un linceul éthéré, sans voir autour de lui craquer les feuilles brunes. Le vent, silencieux, berçait de sa fraîcheur l'absence des étoiles. Sa solitude était un peu la mienne : celle d'une âme qui s'égare au sein des brumes en espérant, peut-être, s'effacer avec elles lorsqu'un Soleil nouveau réchauffera les cœurs encor dignes d'amour.
Elle, fine et silencieuse comme une ombre, me dévisageait. Le noir de ses longs cheveux et celui de sa robe se fondaient si bien, dans cette douceur fantomatique du crépuscule, qu'on aurait dit un drap de nuit la couvrant de la tête aux pieds. Sa peau, très pâle, semblait s'étioler à mesure que l'orange du ciel disparaissait. Et son regard vide, privé de rêve et d'illusions, lui donnait une allure ancestrale. Nos yeux se croisèrent ; d'abord furtivement, presque gênés, puis de plus en plus intensément, comme pour noyer nos propres douleurs dans le chagrin de l'autre. Et j'eus, pour la première fois de ma vie, le sentiment de comprendre quelqu'un, de ressentir sa détresse. Sans un mot. Une larme solitaire lentement ruisselait sur ma joue. Elle la suivit du regard, l'accompagnant dans sa chute. Puis replongea ses yeux dans les miens, plus douce, moins austère, comme si cette goutte avait tissé entre nous quelque indicible lien.
Une poignée d'étoiles perçaient timidement l'obscurité, indélicats témoins de cette scène improvisée, insolentes de sérénité. Comme si l'idée même de mouvement s'assoupissait, ne laissant derrière lui que le frémissement du vent. Comme pour laisser place aux coups sourds de mon cœur que je sentais parcourir tout mon corps et résonner dans mes os, assourdissants. Et son cœur, à Elle ? Est-ce qu'il battait comme le mien ? J'aurais tant donné pour le savoir.
Une fine brise se leva, chassant les feuilles mortes et noircissant le ciel. Au-dessus de nous, quelques branches oscillaient sur un tempo lent, laissant tomber leurs fragrances de bois humide. Le vent s'enhardissait. Les arbres tanguaient à son passage. Le Soleil fuit. La bruine vint. Nos mains brièvement s’effleurèrent. Surpris par la tiédeur de sa peau, je fermai les yeux un instant.
Lorsque je les rouvris, j'étais seul. Elle avait disparu. Seul, sous la pluie et la morsure glacée d’Éole. Seul comme jamais je ne l'avais été, sans force et sans raison. Seul avec ce souvenir, gravé au fond de mes pensées...