( à la mémoire de Monsieur B.)
le vieil homme se tenait souvent là,
seul, debout sur de la place,
en son centre exact,
en sûreté, loin de tous les dangers
selon lui, à l'abri des embûches
des couloirs sombres de sa maison
ou des ruelles des vieux quartiers ,
à découvert, là où du moins
la camarde ne pourrait pas le prendre
par surprise,
le faucher comme les blés à la fin de l'été,
l'abattre comme la foudre le grand arbre
- J'ai peur de la mort, m'avouait-il
il en avait peur et il l'attendait
comme si le lieu et l'heure, le scénario
étaient prévus à l'avance, programmés
comme de prendre le train de 8 h 30,
d'attendre, à l'arrêt, l'autobus du matin,
aller voir un film en matinée ou en soirée,
se rendre à la grand messe du dimanche,
attendre une nuit, l'aube ou le printemps
il n'avait pas écouté le conseil du sage
de s'attendre à la mort, le destin commun,
mais de ne pas L'attendre
tel le condamné à mort après le verdict
qui, lui, connaît le lieu et l'heure
il était, comme nous,
l'homme qui marche seul dans le monde,
sans un regard pour les autres,
le cow-boy qui a rendez-vous avec son destin
au bout d'une rue déserte, un jour ou l'autre,
dans un duel au coucher du soleil
.
.
la mort qu'il avait tant attendue l'a pris
à l'improviste, par surprise en plein midi,
alors qu'il était bien loin de penser à elle,
qu'il ne l'attendait justement pas ce jour-là,
qu'il festoyait avec des amis de rencontre,
qu'il faisait des projets de vacances au soleil
et sentait en lui des ardeurs amoureuses
alors,
étonné comme un enfant que l'on gronde,
le marin aguerri qui tombe à l'eau et se noie,
ou bien, sauvé, respire à nouveau, ébloui
de bonheur,
comme au premier jour,
il s'est sans doute demandé pourquoi
il avait vécu dans la terreur de ce moment,
il a été peut-être dépité de cette fin banale,
il a eu sans doute l'impression
d'un quatorze juillet sans feu d'artifice
ni lampions,
d'un jour de semaine
qui essaie de ressembler à un dimanche,
d'un rendez-vous manqué,