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Publications sur Toute La Poésie

La fin d'un amour

30 août 2025 - 03:53

dans son regard mauve,
l'amante-amoureuse a vu se lever
beaucoup d'aurores hésitantes
et flamboyer bien des couchants

 

elle l'a perdu,
il a disparu, cet amour,
dans les grandes plaines de la Volga,
ainsi que, depuis le fleuve,
s'effacent peu à peu les isbas
et ne demeurent que les panaches
de fumée au-dessus d'elles,
de plus en plus ténus, évanescents,
jusqu'à se dissoudre à l'horizon

 

" comme une enfance
en train de se perdre,
une force qui se défait,
un amour qui s'effondre"*

 

* Rilke, Lettre à Lou du 18 juillet 1903

Un homme, une nuit

10 août 2025 - 09:48


          nuits, noir d'aile de corbeau,
golfes profonds au mouillage sûr,
une escale, avant une autre traversée
de journées fades ou trépidantes,
à l'image d'une mer, imprévisible

 

le sommeil vient comme un voleur,
au détour du chemin, léger et furtif

 

dans la nuit,
corps  se frottant à un autre corps,
coque battant contre un ponton,
ou les pieds emmêlés aux siens,
ancre jetée dans la mer des Sargasses,
au royaume des ombres
dans un temps mort, temps préservé,
peuplé de rêves et de cauchemars,
effaçant les murs et les frontières,
ouvrant de nouveaux territoires
et d'étranges espaces de liberté

 

une vie, aussi réelle que l'autre,
aventureuse et pleine,
avec de soudains flashs,
sursauts d'une conscience claire,
plages dorées ou de sable noir,
parenthèses insomniaques,
souvent objets de crainte,
cours grises des prisons, le matin,
où l'on dresse l'échafaud,
mais parfois bienvenues,
comme pour Montaigne
qui demandait qu'on le réveille
dans son sommeil, pour mieux jouir
d'un temps suspendu, effacé, inutile,
et peut-être rompre
avec ce retrait, cette absence à soi
qui ressemble à une mort,
                         dans un temps aboli

 

 

au matin,
après la transparence de la nuit,
et sa vérité nue,
à nouveau le temps du doute,
l'ère du soupçon,
l'homme quotidien retrouvé,
qui avance masqué,
les deux yeux grands ouverts,
un oeil tendre ou effaré,
scrutant le monde, l'autre, inquiet,
hésitant, tourné vers soi,
encore troublé par la rencontre
               de l'inconnu de la nuit

La passion de l'eau

12 juillet 2025 - 10:38

et j'ai, soudain, la révélation de ma propre peau,

- oubliée, niée, abolie depuis le dernier été -

sous la longue, douce, pressante caresse de l'eau

qui enveloppe, étreint tout mon corps immergé

et que je fends et pénètre comme l'étrave d'un navire

 

souvent, en position ventrale, aveugle et sourd

à tout ce qui n'est pas la sensation de l'instant,

faisant des pointes rapides comme une vraie danseuse

ou essayant d'imiter celui qui marchait sur l'eau,

les battements des pieds mesurant la résistance

de la masse liquide, je cherche de mes bras tendus

vers l'avant, maintenant au bord de l'asphyxie,

la paroi du bassin dont le contact marquera

ma résurrection, dans une bouffée d'air frais

qui emplit jusqu'au plus profond de mes entrailles

 

d'autres fois, en dorsale, aveuglé encore mais de lumière,

ébloui, avant d'atteindre le cône d'ombre du toit, et là,

yeux grands ouverts vers ce ciel si absent de nos villes,

j'ai l'espace entier en face de moi, le vol, circulaire et lent

d'un faucon crécerelle, ou tendu des martinets rageurs

zébrant les airs comme une escadrille de combat,

parfois même une mouette égarée aux ailes hésitantes,

 

et moi barque rentrant au port à grands coups de rame,

bras dressés dégoulinants d'une eau scintillante au soleil

enfin, à bout de forces, dans une brasse coulée, ralentie,

baleine échouée à la dérive, balancée par la houle du large,

ou plutôt raie Manta déployant ses lourdes ailes delta,

s'appuyant de toute sa surface lisse et compacte sur l'eau,

 

mon corps-oiseau marin entreprend sa dernière traversée

 

jusqu'à venir se poser, alangui et heureux, sur la berge,

 

attentif seulement aux pulsations sauvages de mon cœur

 

et aux stridulations tremblées des premières cigales de l'été

La proie pour l'ombre

22 juin 2025 - 10:53

                           sous les draps,

la main tâte autour d'elle,
se hasarde en territoire inconnu,
comme une pieuvre
sort de son antre sous-marin,
dans  la nuit des profondeurs

 

la main-tentacule s'étire,
se plaque,

                                 se déplace

parfois légère comme une liane,
parfois insistante, tendue
comme prête à saisir sa proie,
oursin, crevette, coquillage nacré,

toutes les promesses de l'aube,


parfois furtive, soudain apeurée
si elle sent l'ombre d'un squale
s'étendre au-dessus d'elle

 

                                        alors,
saisie par une crainte ancestrale,
une terreur irrépressible,
indomptée, elle se contracte,
chasseur à son tour chassé,

pauvre voleur pris en flagrant délit,     


elle se referme sur elle-même,

 

            et, dans un jet d'encre,

 

elle disparaît au fond de son trou


              ...

   ... et toi, tu sors de ton rêve

La caresse de l'eau

06 juin 2025 - 08:23


Dos crawlé

                            face vers le ciel,

ses deux bras, l'un puis l'autre,

labourent la surface de l'eau

comme les aubes des bateaux

qui remontaient le Mississipi

                    ou comme les norias

dans les terres assoiffées du sud

 

chaque brasse soulevant une traînée

de perles nacrées, queue de comète

un instant suspendue dans l'air,

                          puis s'évanouissant

un étau froid enserrant sa poitrine,

l'instant d'avant chauffée à blanc

par le sable brûlant au soleil,

nappe liquide frémissante

             sur son torse, parcourue

par de courtes vaguelettes

comme sur la plage à marée basse

le visage à demi-immergé,

divisé au couteau par la ligne-frontière

entre l'air et l'eau, nuque glacée,

                                         face éblouie

 

tout le corps enveloppé

    comme par la longue caresse

                     d'une main de femme,

                                                  la nuit,

dans ces noces de l’homme

                                      et de l’océan