Aller au contenu

Jped

Inscrit(e) : 07 mars 2013
Hors-ligne Dernière activité : hier, 11:30

Publications sur Toute La Poésie

Les vingt ...

18 décembre 2025 - 06:18

(  à R.  )

 


                                                                          ,

les vingt femmes que tu as aimées, puis délaissées,

 

 

les  vingt mers que tu as traversées, de la Méditerranée aux Tropiques,

 

                                                       du Golfe de Gascogne à l’Arctique

 

 

les vingt naufrages, les vingt morts dont tu as réchappé,

 

 

les vingt îles où tu as vécu vingt autres vies, et que tu as quittées,

 

 

les vingt rêves fous, qui t’ont emporté vers autant d’aventures,

 

 

les vingt métiers, les  vingt destins qui ont été les tiens,

 

 

les vingt fortunes que tu as englouties, tes vingt résurrections,

 


                                      
                     le trou, le simple trou où tu reposes désormais

Transgenre

05 décembre 2025 - 03:58

 

 

 


l’enfant blond, être dansant
comme une libellule au fil de l’eau
comme un papillon dans le pré …

 

… la jeune fille au teint blanc,
songeuse et grave
comme une cigale
au creux de l’arbre,
surprise de sa métamorphose
et entonnant son nouveau chant

Sur le sentier

24 novembre 2025 - 10:56

 

 

 

à travers le feuillage épars,

 

le froid soleil de novembre

VOI… VOI… VOI...!

14 novembre 2025 - 02:15


      analphabète dans notre langue,
chien ou agneau parmi les loups,
loup farouche parmi les chiens,
loup-garou au milieu des hommes,
il était venu d'un de ces pays de l'est
à l'histoire mouvementée, souvent
tragique, comme un Ulysse à l'envers,
un Ulysse fuyant son pays d'origine,
par mer, au gré des courants furtifs,
marin de fortune, passager clandestin,
ou à travers tous les pays d'Europe,
dans le chaos fiévreux des guerres,

 

         combattant pour quel camp
dans ces temps sombres, inquiets ?,
pour l'un d'abord, pour l'autre
après peut-être, c'était son secret
que nul n'a jamais essayé  de percer
sans doute par pudeur ou par lâcheté,
de crainte de découvrir trop d'horreur,
trop de souffrances ou de remords

 

on ne lui connaissait  ni femme ni maison,   
il couchait ici ou là au hasard des saisons
et des travaux, souvent à la belle étoile
ou dans quelque mazet abandonné
           en bord de vigne ou Dieu sait où

 


Elékés,

(son nom, ou peut-être un nom d'emprunt),

 

était chez lui ici, partout et nulle part,
sur tous les chantiers, dans les vignes,
dans les garrigues, au bord des étangs,
prêt à rendre service, à prêter main forte,
quelle que soit l'heure où le lieu :

 

                                     Voi, voi, voi !

 

c'était les seuls mots clairs qu'il prononçait,
en dehors d'un gromelot, d'un charabia
que ni lui ni les autres ne pouvaient démêler
et qui lui servaient sans doute de masque,
d'armure pour cacher quelque lourd secret
ou simplement pour se retirer du monde
et des hommes, à la poursuite d'on ne sait
quels songes, quels fantasmes, quelle folie,
nés de son passé
                   et qui lui avaient forgé un destin
d'homme sauvage dans notre pays sauvage
des Corbières, son vrai pays , son Ithaque

 

                                       Voi, voi, voi !

 

il a disparu un jour, emportant son secret,
nul  registre ne porte son nom, nulle tombe,


il s'en est allé comme il était venu,


                                       sur les ailes du vent

 

Antoine et Alice

15 octobre 2025 - 06:54

Ils étaient tous deux presqu'aussi vieux que l'ancien four à bois

dans lequel il avait cuit le pain pour tous pendant un demi-siècle

et qui, vrai Moloch , crachait du feu en fin de nuit et , au matin,

Dieu rassasié, exhalait son haleine brûlante quand l'homme,

pour ajuster le degré de chauffe, enfournait quelques fougasses*

d'un seul geste puis, pour juger du point de cuisson, les retirait,

souvent dorées à point ou alors, les mauvais jours, noircies,

cramées, au goût de caramel inoubliable, au bord de l'amertume

 

Leur vieillesse heureuse

s'étirait maintenant, à l'étage, dans cette si douce chaleur

qui montait vers eux depuis le fournil, dont la vie secrète

leur était si familière qu'ils reconnaissaient chacun des bruits,

chaque frôlement, le moindre murmure , les silences aussi

que ponctuaient des éclats de voix qui, souvent, évoquaient,

pour eux, un visage, des rires qui leur réchauffaient le cœur,

les ramenant sans cesse aux belles années d'autrefois,

quand, dans la nuit, Antoine pétrissait religieusement la

pâte qui gonflait pendant qu'il jetait les tous premiers sarments

dans le four béant, encore tout tiède des fournées de la veille

 

La rue s'embrasait à son tour et, en face, sur les façades

à travers la fenêtre largement ouverte du fournil,

se jouait, en ombres chinoises, la Geste fantastique

dont Antoine était le vrai héros, Don Quichotte moderne,

ferraillant devant les braises ardentes, avançant hardiment

puis battant en retraite, revenant cent fois à l'assaut

dans ce qui semblait être un combat dérisoire, interminable,

dont sortirait pourtant la miche de pain de chacun d'entre nous

 

Vers la fin de leur vie, ils descendaient parfois de leur refuge

parmi les pains, aux formes et aux noms inconnus autrefois,

paillasses, torsadés, en épi, aux noix, au germe de blé, au sésame,...


Antoine les caressait du regard, entre nostalgie, étonnement

et tristesse : " Aujourd'hui, Monsieur, tout n'est que fantaisie ... "

Alice le regardait, assise sur la dernière marche de l'escalier,

un peu perdue elle aussi, mais son éternel sourire aux lèvres

 

Heureusement, le vieux four était toujours là, encore chaud

de la dernière fournée du matin, fidèle et qui ne ment pas.

 

 

                      Et il serait encore là, longtemps après eux ... .

 

 

* Les fougasses d'aujourd'hui ( fogazza) nous ont fait oublier que leur fonction initiale était de vérifier que le four était à bonne température. Leur goût est incomparable ( sans rapport avec les ersatz qu'on vend sous ce nom aujourd'hui, sauf évidemment si elles ont été cuites comme ici, dans un four à bois ).