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Publications sur Toute La Poésie

La proie pour l'ombre

22 juin 2025 - 10:53

                           sous les draps,

la main tâte autour d'elle,
se hasarde en territoire inconnu,
comme une pieuvre
sort de son antre sous-marin,
dans  la nuit des profondeurs

 

la main-tentacule s'étire,
se plaque,

                                 se déplace

parfois légère comme une liane,
parfois insistante, tendue
comme prête à saisir sa proie,
oursin, crevette, coquillage nacré,

toutes les promesses de l'aube,


parfois furtive, soudain apeurée
si elle sent l'ombre d'un squale
s'étendre au-dessus d'elle

 

                                        alors,
saisie par une crainte ancestrale,
une terreur irrépressible,
indomptée, elle se contracte,
chasseur à son tour chassé,

pauvre voleur pris en flagrant délit,     


elle se referme sur elle-même,

 

            et, dans un jet d'encre,

 

elle disparaît au fond de son trou


              ...

   ... et toi, tu sors de ton rêve

La caresse de l'eau

06 juin 2025 - 08:23


Dos crawlé

                            face vers le ciel,

ses deux bras, l'un puis l'autre,

labourent la surface de l'eau

comme les aubes des bateaux

qui remontaient le Mississipi

                    ou comme les norias

dans les terres assoiffées du sud

 

chaque brasse soulevant une traînée

de perles nacrées, queue de comète

un instant suspendue dans l'air,

                          puis s'évanouissant

un étau froid enserrant sa poitrine,

l'instant d'avant chauffée à blanc

par le sable brûlant au soleil,

nappe liquide frémissante

             sur son torse, parcourue

par de courtes vaguelettes

comme sur la plage à marée basse

le visage à demi-immergé,

divisé au couteau par la ligne-frontière

entre l'air et l'eau, nuque glacée,

                                         face éblouie

 

tout le corps enveloppé

    comme par la longue caresse

                     d'une main de femme,

                                                  la nuit,

dans ces noces de l’homme

                                      et de l’océan

Neige de mai à Jaca

24 mai 2025 - 09:01


A Jaca, encore en vue des sommets pyrénéens où s'accrochent

les derniers glaciers, entre les hauteurs de la citadelle et  la cathédrale,

les rues s'égaient entre ombre et lumière en ce début d'été,

ici groupes sonores traversant la place puis disparaissant,

là, terrasses des bars à tapas se garnissant peu à peu,

tandis que le vieux fleuriste aux gestes lents et mesurés

rentre ses pots, alignés à même le sol devant sa boutique,

comme il l'a fait deux fois par jour, toute sa vie, à la belle saison,

dans un acte cérémonial et sacré de sacristain ou de prêtre

qui, ici, aux portes de San Pedro, prend des airs d'éternité

 

aussi, quoi de plus naturel que ces impalpables flocons de neige

pourtant improbables à une telle époque de l'année et sous ce soleil,

qui, sous l'effet d'un souffle de vent, voltigent autour de nous,

sans que, d'ailleurs, les gens ne leur prêtent la moindre attention,

comme s'ils ne les voyaient pas, comme s'ils n'étaient rien d'autre

que le fruit de notre illusion, une pure création de notre esprit :

pourtant ils sont bien là, dansants et virevoltant autour de nous,

aussi insaisissables que les bulles de savon de notre enfance,

et, par endroits, formant au sol un feston d'écume légère,

comme celui que laisse la vague quand elle se retire, sur le sable

 

mais ces flocons ne s'évanouissaient pas au contact des corps

ou du soleil ; immatériels, ils n'étaient faits ni d'eau ni de glace

et, en remontant le courant ténu et régulier de leur flot aérien

le long des rues - explorateurs à la recherche des sources

d'une rivière inconnue, dans un pays incompréhensible, étrange -

nous découvrons, sur les pentes herbeuses autour de la citadelle,

des arbres démiurges - des peupliers carolins, en ordre serré,

tels des fantassins géants marchant fièrement au combat -

qui dispersaient aux quatre vents ces milliers de cocons duveteux

qui, un instant, nous avaient fait croire que l'hiver s'invitait

en ce début d'été, que la Noêl et ses mirages étaient de retour,

que le pouvoir nous était donné, soudain, de remonter le temps

 

telle est la force, en nous tous, de l'imagination, et du désir,

tant, en pays étranger, nous ne nous étonnons plus de rien,

prêts à croire ou à inventer les contes les plus invraisemblables,


emportés par le sentiment de l'impunité et par un souffle de liberté,


et avec l'impression fugitive d'avoir franchi les frontières du réel


parce que l'on est,
                                           tout simplement,
                                                                                  de l'autre côté des Pyrénées

L'île de Ré

09 mai 2025 - 09:41

comme un navire immobile

sous un ciel intensément gris,

en cale sèche à marée basse,

coque à nu, sertie de varech,

de coquillages et de boue,

du sang de ses marais salants,*

 

ses passagers prisonniers

tels les forçats d'autrefois,

en partance pour la Guyane,

dans un temps suspendu, indistinct,

où les voix se mêlent aux cris

des mouettes

            et des marins péris en mer,

 

           l'île de Ré,

 

    si familière, si secrète,


                     si proche et si lointaine

 

 

 

*La couleur des marais salants varie selon la salinité et dépend des micro-organismes présents dans l'eau. Elle peut être d'un rouge intense.

Nuit au goût amer

25 avril 2025 - 02:11

          amante blessée et qui le fuit,
bientôt hors d'atteinte de son regard,
de sa voix, si étrangère tout à coup,
si lointaine, perdue, éperdue,
sa barque en allée au fond d'une anse,
à l'autre bout de l'étang

 

          lui, de ce côté-ci de l'eau,
pauvre héron exilé, proscrit,
dressé lamentablement sur un pied,
rêveur sempiternel immobile
et ressassant sans fin
             sa perte et son malheur

 

          dans un jour, dans un mois,
quand la brise de mer se lèvera enfin
et poussera la voile vers lui
jusqu'au centre exact de l'étang,
et lui toujours à l'attendre, tremblant

 

il s'élancera alors et viendra se poser
sur  la dunette, humble, repenti,
attendant un signe d'elle, un regard,
un clignement de cils,  un geste
pour s'abattre aussitôt sur le pont,
lui, l'ancien maître incontesté des airs,
terrassé, au pied de son vainqueur

 

                      - -  - - -

 

au bout de cette nuit  au goût amer,
l'homme-héron sort de son rêve
étrange, plus mort que vif, anéanti,
naufragé retrouvant la terre ferme,
et son ancien goût de vivre et d'aimer,
tel l'ours brun sortant de sa tanière
au printemps, affaibli, encore hésitant
peut-être,
mais ébloui de soleil,
                ivre d'air et de lumière,
prêt à entrer dans la nouvelle saison