LE BLUES ELECTROPUNK DU CANAL 30.
Un soir
le long d’un canal jadis industriel
le souffle pesant par des semaines de trop de bières
les feux de camp des gens du voyage
dans le lointain
deux silences
qui si souvent
risquent de s’opposer
la brume qui s’enroule
autour des rares poteaux lumineux
encore valides
sur la voie rapides aux nids de caries
je déambule le long
d’un chemin de hallage asphalté
désormais dédié aux romantiques
aux suicidaires
aux joggers à toutou tenu en laisse
aux nostalgiques d’un Éden postindustriel
qui n’a jamais existé
ailleurs que dans les délires de désirs exacerbés
l’humidité d’après le crépuscule
tisse une pellicule perlée d’étoiles
sur mon bomber noir
encore une fois Jack a raison
ce bon vieux Kerouac
la poésie vit en tout
il suffit de vouloir appréhender l’univers
le manipuler comme une statuette fragile
risquant de glisser de nos doigts fiévreux
et se fracasser sur le béton brut
des désillusions accumulées
le long du canal
une promenade entre le soundcheck et le concert
pour une fois seul mais pas triste
je songe mécaniquement
aux cadavres gonflés
qui parfois flottent
aux poètes fous des écluses sous la pleine lune
aux galops des pur-sangs de la Rêvolution
aux usines rasées de mon enfance
et surtout aux Saintes des bistros
venant rarement me voir sur scène
mais sont toujours prêtes
à ce que nous faisions l’amour
un peu partout
dans les bois
sur les parkings
ou dans la cuisine
sexe pour le plaisirs
rappel de l’adolescence
pas encore très éloignée
l’hiver
le canal
les voitures à toute allure
et d’autres au repos
nappées de vases et d’alluvions
là
au fond
les nuances de la nuit
l’hiver encore
le canal encore
je chantonne le passage
d’une chanson où ma voix coince
histoire de me rassurer
a capela
dans ce décor
la mélodie prend une autre dimension
atteint presque une autre substance
plus glauque
plus émotionnelle
plus mélancolique
tout est question d’habillage
de contexte
putain d’imaginaire
taper de la godasse dans le gravier
essayer de demeurer visible
lisible
mais aussi laisser couler librement
l’irréductible torrent des mots
et conserver sens et cœur totalement ouverts
sans jamais oublier de regarder les autres
droit dans les yeux
un par un
en n’en laissant aucun de côté
car c’est celui ou celle que j’oublierai
qui
va savoir
souffrira
probablement le plus
comme si elle
comme si il
aspirait à ce que tu ignores son regard
afin de se conforter dans sa douleur
réelle ou présumée
la frontière demeure toujours floue
c’est à ces êtres humains
plus qu’à nous-mêmes
que nous dédions modestement notre musique
pour que plus jamais
ils ne s’exilent de leurs vies
afin que jamais plus
ils ne se résignent
à devenir personne.