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Le trèfle à quatre vérités

Posté par chevalier dupin, 28 octobre 2008 · 572 visite(s)

mes contes à se réveiller couché





Il est un sol verdoyant, perdu dans l'imaginaire, aussi rieur et envoûtant qu'un poète peut le décrire.

En l'occurrence, le soleil est ce poète, mais à la clarté qu'il apporte, les forces de la noirceur y opposent un juste contraste, éparpillé sous chaque herbe, autour de chaque motte dont l'étendue se couvre.
Au sein de ce milieu bucolique, perce un trèfle à quatre feuilles, image d'un bonheur superstitieux qui n'attend que d'être cueilli pour que le pré soit malheureux.
Vient un jour où une étrange créature pénètre en ce lieu. Il s'agit d'un âne : rabougri, boîteux et noir jusqu'au fond de l'oeil ; chose extraordinaire, une jument le suit : belle, piaffant de vigueur, sa crinière ondulant de la fierté de la jeunesse.

A ce spectacle le côtoyant des sabots, le trèfle s'inquiète tant, qu'il s'oblige à renier le soleil pour qu'obscur et céleste voile, en entier, le dissimule à la vue des envahisseurs.
La jument qui batifole à qui mieux mieux alentour, toute à sa souplesse, pousse pourtant l'élégance à épouser du regard les joliesses de la nature de peur de les piétiner.
Seulement, voilà : prouvant qu'une décision trop protectrice peut avoir l'effet inverse de celui escompté, quatre pétales dérobés à la vue chevaline risquent instamment de rejoindre une tige à sa base, si l'astre du jour, prestement ne quitte, sa réclusion vertement priée.
En en prenant conscience, le porte-bonheur fait herbe, revoit déjà sa vie en pensées sauvages, lorsque : ô miracle !
un braiement qui eût effrayé un boeuf, évite le trèflicide.
- Eh bien quoi l'avorton ? Crie de surprise la pimpante ongulée.
- Vous alliez saboter la chance de cette jachère, mademoiselle ! Lui affirme la vilaine bête d'une voix cassée,
puis lui montre de sa langue râpeuse, le survivant replié, tremblant, dans le carré de sa photosynthèse.
- Bon sang ! Vous avez raison, je... je... vous remercie de votre si prompte intervention et m'excuse du mouvement de mon humeur si spontanée... Répond la pouliche avant de lier conversation autour de sa presque victime.
S'il n'est dur de la feuille, le trèfle désormais si vivant, ne peut se joindre à ce bavardage puisque ne lui manque que la parole, toutefois se console-t-il car le solaire resplendissement est de retour et lui permet d'observer plaisamment le couple disparate des équidés.
L'âne n'est pour lui qu'une ébauche de poulain à la finition imparfaite, au contraire de la jument lui semblant, telle Pégase, à peine sortie de divine chrysalide.
- Par le ciel que cette corolle de douce fortune est magnifique et si bien arrangée ! S'exclame alors la créature hennissante avant d'ajouter :
- Je m'enivre du parfum de sa chlorophylle, c'est exquis ! Hi ! Hi !
- Et surtout renchérit l'humble baudet, en fourrant son nez où les ténèbres sévissent, que ces nervures sont gonflées de sève et que ces racines doivent être saines et riches des.. Hi-Han!.. des nutriments de la terre...
- Holà ! Holà ! Proteste l'autre animal, sa robe soudainement empourprée.
- Que vous êtes compliqué ! Ne pouvez vous donc, vous contenter de ce que les rayons de la lumière caressent,
plutôt que d'embarrasser sans pudeur l' intimité à son pied ?
- Holà ! Holà ! Osé-je aussi, car.... car le secret d'une existence n'est-il point supérieurement précieux, comme...comme... celui de la vôtre, à l'existence-même de ceci ? Ânonne, gêné pair de Buridan.
- Question idiote ! Renacle son interlocutrice.
- Vous oubliez que la curiosité est un vilain défaut qui je le comprends, sied à merveille à votre museau !

Ensuite, inévitablement, le ton monte jusqu'au paroxisme de l'énervement des quadrupèdes.
Les nombreuses oreilles du trèfle lui en laissent percevoir un bien mauvais pressentiment.
La mort lui en prouve subitement la raison, ce qui est une bien piètre consolation pour botanique prophète !
Deux mammifères honteux de leurs débordements criminels s'en rendent compte, et s'ils se réjouissaient récemment d'une partisane et égoïste pâmoison, dorénavant pleurent-ils à l'identique la cause de leurs remords.

Tout en les maudissant, un émotif habituel pourvoyeur de gaieté, va cacher sa tristesse derrière le deuil porté par un banc de nuages.
- Horrible compensation doit-elle immanquablement succéder à l'héroïsme flamboyant du geste ? Se demande-t-il se mouchant dans la soie des nues.
Immédiate et déséquilibrée pluie n'amène hélas, en folle réponse, que la certitude qu'elle au moins, n'aura jamais d'ombre.
Trop longtemps, seuls dans les flaques illustrant l'abattement répandu, clapoteront cependant, en sombres échos, les ricochets d'un dégouttant regret !