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Depuis : Anne-Pascale

Posté par Sinziana, dans Textes 23 août 2018 · 402 visite(s)

 
Prendre le train. Trois heures de temps qui s’écoulent sans fin. Dans le compartiment, places serrées, j’entends parler arabe, chinois, français, gazouillis d’enfants.
Où va-t-on en prenant le train? Où va-t-on en prenant la vie? Le mystère reste entier.
Le paysage défile, vignes lourdes gorgées de fruits que commencent à soulager quelques vendangeurs. Sur le bas-côté de la voie, dans l’herbe sèche au milieu des ronces, des fleurs blanches de liseron envoient aux voyageurs de chastes baisers. Autre part, sur la pelouse stérile d’un quai de gare, des étoiles de pissenlit, par hasard tombées du ciel.
J’entends des bribes de vie ordinaire racontées au téléphone par une voisine indélicate. Ma pensée divague, coincée entre les fantômes du passé et les illusions d’avenir.
Je vais rendre visite à une chère et ancienne amie. Tout ce qui est ancien n’est pas forcément cher, souvent il est même bon pour la poubelle de l’oubli. Jeter, se dégager, s’ébrouer les plumes de l’eau vaseuse déposée par l’existence, faire place nette pour la suite du voyage. Ici ce n’est pas le cas. Une amitié vieille de plus d’un quart de siècle, qui à chaque rencontre rajeunit, fraîche et joyeuse comme au premier jour.
Nous échangeons des nouvelles, parlons du passé, de nos folies respectives. Qu’est-ce qui a poussé, à la fin du XXe siècle, une jeune fille de dix-neuf ans à devenir carmélite, enfermée dans un cloître pour le reste de ses jours? Peut-être la même force qui m’a permis, au même âge, de me priver de nourriture quelque temps...La foi: en le corps, en la nature, en Dieu, en la vie. Faire des choix radicaux, repousser ses limites, vivre en apesanteur. Pour, comme dit joliment Christian Bobin en évoquant Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, tirer Dieu par la manche, toucher, si le miracle de la Grâce opère, un cheveu d’éternité.
Nos vies sont-elles si différentes? Dans la salle à manger pour les visiteurs du Carmel, l’ombre des arbres encore feuillus, en cet été bien avancé, ondule sur la vitre de la fenêtre ouverte, dans un carré de lumière. Que ce soit dans le monde ou dans l’enceinte étroite d’un monastère, on rit, on pleure, on aime, on travaille, on prie. On est confronté à une communauté humaine, et nos semblables nous aident à leur façon à suivre un fil bien ténu. Celui avec lequel, dans un coin du ciel, un ange tisse l’habit que l’on portera au dernier jour.
Trajet de retour. A travers la vitre, des herbes folles me caressent la joue. Des rangées de fougères et d’aigrettes de pissenlit me saluent. J’emmène avec moi un petit bout d’Anne-Pascale. Ses yeux rieurs, son sourire espiègle et chaleureux, le son cristallin de sa voix pendant les offices, la sagesse de ses paroles, se fondent en une petite brise légère qui regonfle mes voiles.
Prendre soin de ce qui est. Ma vie, notre vie, la vie tout court, ce vent qui souffle au travers de nous, ce batteur invisible qui frappe au tambour du coeur, ne nous appartient pas. Tout nous est prêté, pour un temps.
Prendre soin de ce qui est.
 
Sinziana Ionesco 21/08/2018
 



Source : Anne-Pascale



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