</B>fixons ici un absolu arbitraire "l'évocations des éléments nous éloignent de la poésie"
Et ce, pour ne satisfaire qu'une seule raison, ne pas se désordonner
la poésie est concept de manipulation difficile ; elle peut sembler chose encore toute virtuelle, chose à concrétiser, chose
à faire compte tenu de ce que nous en connaissons déjà .
Et même du peu que nous en connaissons, car la poésie humaine dépasse la culture franco ou eurocentrique contemporaine et d'histoire plus ancienne.
Les arts les magies de tous ordres, manifestations publiques ou privées, les prêches religieux, les meetings politiques, les concerts de l'art pop, toutes pratiques où les officiants tirent des spectateurs plus ou moins actifs des émotions sensibles - de la transe collective à l'émotion intime - relèvent du dégagement poétique, à quoi l'homme recourt par moments pour briser la monotonie inhérente au déroulement des jours.
Par analogie la poésie peut faire penser au travail d'une matière dont nous tentons de tirer des formes nouvelles.
Je comprends Isabelle quand elle reprend "nous écrivons de la poésie pour faire rêver".
"Rêver" est dans l'acception courante du terme un état flottant plus passif qu'actif. Divagation par chemins buissonniers.
Mais l'analyse du mécanisme neurophysiologique du sommeil et du rêve, son rôle dans la maturation, la restauration, la gestion de nos comportements éveillés ne peut que vous donner raison.
Je vois l'objet de l'art comme tentative d'élargissement de l'univers des sensations humaines. Les modernes études réalisées en psychologie de la perception donnent à mon sens des leçons plus pertinentes car plus objectives et instructives, que les siècles de sempiternelles contestations littéraires.
"L'évocation des éléments nous éloigne de la poésie" je vous cite, est une proposition aussi vraie et aussi fausse que tout ce que les infinies possibilités de développement d'ordre purement verbal voudront lui faire d'écho. Aussi vraie et aussi fausse, puisqu'elle est d'ordre littéraire.
je me sens moi plus à mon aise dans une proposition inverse, "la poésie nous éloigne de l'évocation des éléments".
Proposition elle aussi vraie et fausse, littéraire aussi bien, mais j'essaie de l'objectiver
Proposition vraie, en cela que les mots feu, air, terre, eau, (ajoutons bois pour les Chinois) n'ont de sens que pour des Français ou des francophones.
Proposition fausse, en cela que la poésie
à faire (mais dont maint poète de mainte culture, y compris la "nôtre", offre déjà l'exemple ou l'ébauche) travaille sur les éléments purs, les micro-éléments dont le langage est fait. Cela relève du domaine de l'acoustique, de la micro-acoustique, et précisément de cet élargissement de l'univers de nos perceptions et sensations qui me paraît l'objet de l'art.
La poésie à quoi je songe est faite de mots agencés en phrases soumises aux lois de la syntaxe - quelle grande nouveauté !!! - c'est la moindre des politesses que de respecter ses semblables en jouant le jeu du sens - mais dans un ordre de sensibilité plus développé, le travail portant en premier lieu sur le corps du son, la distribution phonétique. J'ai essayé de rendre compte de cet effort dans un article paru il y a quelques années, excusez je vous prie une auto-citation :
Le vers s'avance, progresse, à chaque instant semé de phonèmes nouveaux et malgré tout semblables, de syllabes différemment les mêmes, et fécondé enfin de leurs résonances comme rétroactives. Les ondes sonores sont renvoyées épouser la forme de l'objet qui leur a donné naissance. L'oreille ne sait que décider d'entendre, du propos initial ou des mots de surface… Une séquence versifiée à tel degré de profondeur peut produire, sous-jacent, souterrain, quelque rythme second infiniment lent, caché sous celui de la succession pleine des syllabes, et propre à créer une sourde mesure du gouffre - celui de la vanité de l'expression orale courante, celui des brumes d'avant notre naissance etc., tout ce que je sens que nous avons de plus vrai. Nos langues n'ont pas plus de corps que chacun d'entre nous : à supposer que le mot de réalité ait un sens, la parole en rend mieux compte par son bruit que par ses velléités sémantiques. Seul ce bruit composé la peut faire entrer en résonance avec elle-même d'abord, et par conséquence espérée avec son objet ou avec autrui. Et pourquoi pas ? avec les arbres, les rochers, les hommes les plus farouches…La poésie alors ne nous éloigne nullement, mais fait corps avec ses éléments verbaux devenus étonnamment sensibles. La poésie évoque les éléments plus ardemment que jamais. (Ardemment oui, je n'ai pas la froideur que l'on dit scientifique.)
Après tout les éléments du langage font bien partie du feu de l'air, de l'eau et de la terre, tout comme les hommes
voilà je devais vous écrire cher Lambert, je n'y renonce pas - mais, urgences tous azimuts j'ai préféré la facilité d'un message matinal via le Net, merci de ne pas m'en vouloir
cordialement
Louis
(j'ai essayé de vous dire ce que je ressentais, et bien sûr l'expression d'une sensation liée à une direction de travail toute personnelle est à relativiser, à lier à son seul auteur - rien d'absolu !)