
La chaussette trouée
#151
Posté 09 novembre 2018 - 07:21
Tout à côté, des morts-vivants nettoient le trottoir. Ils ont l'air honnête. Ils mâchent consciencieusement et utilisent une paille pour la cervelle.
Nadigne descend du 20e en parachute. Elle aussi veut en finir avec ces malfaiteurs. « Des trafiquants assurantiels zombies, ca va donner une sale image de mon Gneugneu d'amour ! Déjà qu'il ne reste rien... »
Car on ne devrait pas l'oublier : il n'y a rien.
#152
Posté 09 novembre 2018 - 07:44
_ Dites donc, Monsieur l'Agent, je ne vous permets pas d'insulter mon parpaing ! C'est un parpaing qui a fait la Commune, Mai 69 et fera la prochaine grande révolution mélicocotonnienne du 1 sou de mis 10 sous de paumés ! Alors, pouet pouet, hein, l'Agent ! Sinon, j'l'appelle !
Le 20ème, affolé, lève la tête. Se demande qui sera le prochain....
#153
Posté 09 novembre 2018 - 10:19
Il descend lentement du ciel sans l'assurance
Que son corps trouvera un havre d'espérance
A ce sol nu que ne laboura nul fermier !
Gneugneu s'inquiète. Non loin, sur le grand damier
Du monde que ne facilite aucune chance,
Là où rien ne s'exerce, jusqu'à la démence.
Le néant même ressemble à un long palmier.
C'est que Nadigne veille et ainsi l'ordre règne
Sur le monde animal qui paraît végétal
Du vingt-et-unième étage de l'hôpital
L'air de rien, élégante la Belle se peigne
En contemplant la naissance d'une entreprise
Zombie-friendly où l'on coud et où l'on reprise.
#154
Posté 10 novembre 2018 - 07:22
Que ton prochain soit toi-même dans son néant,
Que pierres et parpaings se transforment, Ô honte
Mère de toute foi, toute avanie, archonte
Et bellâtre membre, faconde au doigt dormant.
Que ta guérison soit, par ton bras mis au ban !
Que s'élève temple sur l'immeuble qui monte
Vers le ciel et son vers. Sur le faîte la tonte
Du berger à sa mie, la Belle du couchant.
Que dermes et fibres, liens descendus du vide,
Assurance et confort d'un pied pour sa chaussette,
Quand marelles au sol, glas ! pleurent leur jambette,
Rougissante de sang, Ô indécence. Lied
De Schubert pour son lit, ivre d'un abyssal
Hiver. Inachevé voyage au cœur du Graal.
#155
Posté 10 novembre 2018 - 10:00
C'est ainsi que Jean-Luc se retrouve à essayer de convaincre Gérard de Nerval, intrigué par les puissants lieds et émouvantes mélodies de son voisin (Franz, pas Jean-Luc) de lui consacrer un sonnet.
- Le parpaing, c'est moi, voyez ? Le commerce, aussi !
- Non, pas le commerce, Jean-Luc, essaie de le reprendre Olivier qui sortait de chez lui et s'était approché, d'abord intrigué par la tortue du poète.
- C'est moi ! Moi ! Moi ! Il part en rugissant et en pointant le ciel du doigt.
A ce moment précis, un immense doigt descend du ciel à travers les nuage et assomme Jean-Luc. Olivier essaie de parler à la tortue.
C'est l'hiver. La neige prend vite ! Puis le gel. Et tous ces personnages peu consistants se retrouvent pétrifiés par les techniques de congélation divine contemporaine.
Superbe et immatériel de son doigt téléphérique, Dieu (Gneugneu pour les intimes) se gratte l'oreille.
- Enfin tranquille...
#156
Posté 10 novembre 2018 - 01:40
Enfin tranquille … ? Hum, façon naïve de croire.
Car ce serait sans compter sur la capacité de Jean-Luc à sortir de son corps, quand il le désire. Jean-Luc regarde autour de lui. Son regard transperce tout. La tôle, le plomb, le ciment, le parpaing, la neige, le soleil et même le gel. Pfffff de la pétrification !
Olivier, pas très loin, commence à claquer des dents. On se croirait au bord de l'océan. Il a peur, très peur. C'est qu'à côté, pas très loin non plus (l'espace est un infini pas-très-loin), il y a les zombies et les sauriens, les zomriens et les saubies (métissages interpellant le monde scientifico-religieux très sceptique, et faisant monter les enchères du Trans-Humanoïde). Donc, Olivier a peur. D'un air sombre (à comprimer et l'aorte et la cave réunies) Roger Gicquel commente les informations de minuit. Olivier tremble. Pourvu qu'un fuiiiitt n'éveille trop la chose. C'est que.... Olivier, las de ses appointements maigrichons de fonctionnaire, et lassé de ses ronds-de-cuir aux coudes / mini-pull shetland vert bouteille... a définitivement franchi la porte du Capital. Il vient de se lancer dans le libéralisme modéré chélonien (très tendance). Pas très loin (non plus) du petit vendeur-de-belles-oranges-pas-chères, il tient son étal de nourritures végétales pour tortues. Ah ! Si papa Jean-Luc savait ça ! Il dirait :-(
(mieux vaut ne pas y penser)
Et puis,
la mie n'a plus de cheveux, son Gneugneu l'a tondue !
Et puis,
tant et tant de fulminations qu'à peine Antonin revenu son petit fraisier lie-de-vin s'empistache.
Et puis,
sous la vache, zombies et sauriens, et mécréants en train de voler le lait.
Pauvre Gérard ! Il va finir par louper de rire son suicide.
#157
Posté 10 novembre 2018 - 05:25
- Vous... Vous êtes un zombie, c'est ça ?
- Je suis le solitaire, lui répond le mort-vivant en l'attrapant, le veuf, l'inconsolé !
- Mais foutez-moi la paix ! Je n'y peux rien si Jean-Luc vous a fait des ennuis, moi.
Le jeune homme, formé aux services postaux les plus spéciaux, envoie une sacrée beigne au zombie iconique de l'époque romantique. Hélas ! A peine s'est-il retourné, c'est un autre de ces êtres déterrés à la hâte et en mauvais état qui tente de l'agripper et lui souffle, d'une voix éteinte qui véhicule des senteurs atroces :
- J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille aaaaaaaaaans !
Olivier est désespéré. On n'en sortira pas. Et le journaliste au ton atone de décrire la scène, non sans s'interroger :
- On ne sait pas pour combien de syllabes compte ce « aaaaaaaans ». Peut-être aucune. Rien. Rien...
#158
Posté 10 novembre 2018 - 06:41
_ Oh ! Mon Charles, tu es là ? Toi aussi ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? T'as pas l'air dans ton assiette, dis ! C'est quoi ce déprimou ? Hé, faut rire !
Charles ne rit pas.
_ C'est que... (sniff), mes fleurs sont mortes. Écrasées. Ne vois-tu tomber des cieux ces longs hivers de sangs et de boues ? Le sort s'acharne sur mes morts !
_ Bah ! Mon pauvr', faut pas l'prendre comme ça ! Un mort de perdu, dix de trouvés !
_ Oui. Je sais. Un sou de mis, dix de paumés ! Toujours les mêmes discours ! Et tu crois qu'on fait de la littérature avec ça ?
_ Non ! (ce ' non ! ' exclamatif ne semble pas vraiment convaincu). Je l'avoue, je ne sais plus qui est qui, qui dit quoi, quoi est qui.... Bouuuuuhhhhh ! Les journalistes vont encore me perquisitionner le cerveau, et tenter de me piéger ! Laquais à la solde du capitalisme ! <Salauds ! ! Vauriens !!
Une masse informe, larmoyante et hurlante s'étale sur les pavés de la révolution.
C'est le moment que choisit Gérard pour s'approcher de Jean-Luc (la masse informe, larmoyante et hurlante, c'est lui, J-L !), plus près, plus près (l'espace est un infini plus-près), et zip, d'un geste sec mais précis, magnifique geste, entre pouce et index pince LE SUBLIME POSTÉRIEUR. Si ! Aussi étrange que cela puisse paraître, le veuf, l'inconsolé tente sur le maître insoumis la consolante !
#159
Posté 11 novembre 2018 - 08:43
La fièvre s'empare de Gérard. Le furtif pincement osé sur le Sublime Fessier enclenche une série d'émois très complexe, qu'on ne saurait détailler. La sensation le plonge dans un trouble profond. Il croit avoir devant lui la Comtesse de L. (qui ressemble à madame O plutôt qu'à Jean-Luc, dans la réalité).
- Enfin je vous retrouve !
Il s'agenouille. Il pose sa tête de poète sur le séant considérable qu'il caresse de sa joue droite en récitant des vers de Victor Hugo et en empoignant les poignées d'amour de la République Personnifiée qui n'en peut mais. Alexis qui descendait du vingt-cinquième étage par les escaliers a surpris la scène. "C'est la révolution trahie !", souffle-t-il en apercevant les tourtereaux d'une fenêtre située entre deux étages, au-dessus de laquelle un panneau indique : "La sortie, c'est ici !"
- Mon Jean-Luc batifole avec des êtres contre-révolutionnaires, c'est un scindaaale !
Désormais, il se sent investi d'une mission. C'est Georges. Georges est en lui. Il a sa voix. Il a son analyse politique affinée. Il a son humour d'acier et sa répartie sans exemple. Alexis Georges descend calmement les escaliers. Il mûrit son plan.
- Les scélérats ont profité d'un rien pour provoquer la confusion et propager leurs thèses révisionnistes. Je vais lui botter le cul, moi, à ce traitre à lui-même !
Or, non loin de là, on entend un épouvantable boucan. Quelque chose a explosé - mais quoi ? Alexis est au rez-de-chaussée.
#160
Posté 11 novembre 2018 - 03:16
Bon. Pour bien comprendre, il est nécessaire de bien se remettre la scène en tête. L'intrigue se passe dans une ville délocalisée plusieurs fois, _ une sombre histoire de riens et de détournements, voir les coupures de presse de l'époque. Bref. L'agora est représentée par une route à quatre voix trottoirisées, de chaque côté et tout le long, soit 8 trottoirs, plus 2 trottoirs latéraux d'immeubles, soit 10 trottoirs en tout, c'est-à-dire un nombre indéfini de km, ce qui induit un nombre potentiel et exponentiel d'en-face et d'à-côté. D'où la complexité grandissante de l'intrigue et des intrigues. Calculs laissés à l'appréciation des matheux.
_ Qu'est-ce qu'elle nous prend la teté celle-là avec ses trottoirs ponentiels ! Qu'ils rentrent dans la cité les keufs, qu'ils osent ! Quand ils vont tirsor degun les reconnâtront, hé bouffonne !
Bon. La ville compte (dans le désordre) un hôpital, un restaurant, une SARL et une société internationale trans-humanoïde, un tribunal, une entreprise funéraire, une gendarmerie, un commissariat de police, une maison des Poètes, un marché permanent, une salle de bourses et enchères, une mairie (délocalisée, donc), une université populaire, un théâtre, un bureau de poste, une maison de Dieu, une fabrique de parpaings, un cabinet d'assurances et de très nombreux commerces et immeubles.
D'où la présence de Fabrice, grand-tout devant l'éternel. Il vient clamer tout Céline d'une traite, sans-boire-sans-dormir-sans-pipi, à voix haute et avec le sourire, au grand-théâtre de la ville, devant son public adorant.
_ Qu'il rentre dans la cité, le fabrice et sa meuf, tu vas voir c'qu'on lui fait à sa céline, hé lutin ! Après il pourra aller liecha dans sa brechan !
Bon. L'ambiance n'a pas l'air de beaucoup s'arranger. En dépit de la présence et de Gérard et de Charles, grands poètes devant la littérature, de la mauditure et de l'urbanité. C'est que, peut-être Gérard n'est pas à la hauteur. Les jeunes de la rebellitude attendaient de lui un geste puissant, un signe de connivence, un témoignage fort du poetic metal ! quoi ! autre que ce petit pincement furtif du popotin de la révolution. Quelque chose de définitif, et raide. Tel un stigmate plein de rouille, ou la guérilla ! C'est que sans doute, également, Charles n'est plus Charles, chantre de la charogne et des litanies de Satan.., . mais un déprimé plaintif à la solde des jardineries.
Olivier n'en perd pas une paupière. Il s'ennuie un peu avec ses fausses tortues de plastique, qui remuent la tête et la queue quand l'étal bouge. Il s'ennuie beaucoup avec ses salades et ses graines germées pour tortues. Il se dit qu'il pourrait les mettre dans un paquet poste, pour passer le temps. Mais bon.
Olivier a bien entendu l'explosion... mais il attend de voir. Pas de précipitation. Ses tortues remuent la tête et la queue. Quelque chose a bien explosé, oui, mais quoi ? On ne tardera pas à le savoir. En attendant, il regarde Jean-Luc, abattu, sous les caresses de Gérard. Gérard qui s'y prend comme un pied, faut bien le reconnaître. On voudrait pendre quelqu'un d'ennui et de lassitude qu'on ne s'y prendrait pas autrement !
Olivier est très touché par l'air hagard de Jean-Luc. Sincèrement. Il le plaint.
Jean-Luc porte toujours son parpaing du néant sur le dos. C'est peut-être ça aussi qui le coince ?
On dirait un vieillard. Tout ratatiné.
_ Hé, Nadine, viens voir, tsssst...
Nadine a cours. Non ? Possible ?
Non. Sérieux. Nadine accourt.
En petite salopette verte, toute affriolée.
_ Tu ne voudrais pas demander le parpaing du néant à Jean-Luc, stp. Je ne peux pas quitter mon étal.
Sans poser aucune question, Nadine s'accomplit à la tâche. Elle voudrait se montrer agréable et serviable auprès d'Olivier car elle a quelques vues sur lui..., bien plus jeune et titillant que son gneugneu d'archivêque.
Demande faite auprès de Jean-Luc, ravi de se débarrasser de l'objet, Nadine revient avec le parpaing sur le dos. Elle est rouge et essoufflée. Courbée sous le poids du néant. Dans sa petite salopette verte. Qu'on dirait une layette. Bouche ouverte pour mieux respirer. Prognathe. Bombée et chauve, - car hier tondue par gneugneu. Qu'on dirait une tortue ! Olivier, adorable garçon, lui enfourne une feuille de salade dans la bouche, qu'elle avale. Goulûment.
Quant à l'explosion.... ?
_ Alexis ? Georges ?
#161
Posté 11 novembre 2018 - 04:47
- Une cafetière à explosion, madame ! Vous appuyez sur le bouton et ça explose.
- Le bouton ? Comme vous y allez, jeune homme !
- Ah ah ah ! Ah ah ah !
De l'autre côté du trottoir latéral côté droit (celui qui bifurque), Olivier serre ses petits poings de rage.
- Mon ami n'est plus qu'un laquais à la solde du Capital ! Il se soucie peu de l'exploitation des sauriens qu'on emploie pour fabriquer ces cafetières meurtrières à cause de leurs petites pattes très agiles, sans les payer ! Je vais devoir tuer mon ami, je suis extrêmement triste.
- Ah ah ! J'ai tout ce qu'il vous faut !
Alexis sort de sa mallette magique « SARL du Peuple » un objet informe et odorant.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Une chaussette, monsieur. Une chaussette explosive.
- Mais elle est trouée, votre chaussette ! C'est dangereux.
- Trouée ? Comment ça ? Oh... Merde !
A quelques trottoirs verticalisés de là, on entend une sourde explosion.
#162
Posté 11 novembre 2018 - 05:08
_ Il va bien falloir s'occuper de cette explosion-ci, se désole Olivier (un tantinet espiègle). Sinon, on n'en finira jamais ! Nadine ? Tssssssssssssss
Nadine accourt. Nadine sait. Car Nadine a tout compris. L'allusion est claire.
_ Mon Nono, ça ne t'évoque rien, le bouton ?
#163
Posté 11 novembre 2018 - 05:39
Un radiocassette joue un vieil air de rap adapté de Frank Sinatra. Nadine plaque le garçon contre le mur de plâtre le plus dégagé et malaxe Olivier en déchirant son uniforme. Le jeune homme se laisse envahir par le trouble qu'aggrave le délicat doigté de l'habile femme dont les caresses ne s'interdisent rien. Déjà elle ferme son poing sur le vît affolé qui frétille de surprise.
Les baisers enflammés de la belle achèvent de convaincre le jeune homme de l'opportunité qui s'offre à lui de rallier une nouvelle âme, bien vigoureuse à ce qu'il semble.
La lutte révolutionnaire ne connaît pas le repos. Il riposte enfin aux assauts de la dame qui ne lâche rien, bien au contraire ! Les mains du jeune homme, burinées par des années de tri postal, abordent le glorieux popotin avec fébrilité. Les deux amants abandonnent toute décence en ce hall vétuste qui habituellement abrite un trafic de substances illicites. Ce qui explique la présence d'un escadron de policiers aux alentours du bâtiment.
- Qu'est-ce qui se passe, Bertrand ?
- Je ne comprends pas bien, chef. Apparemment ils sont deux. Je ne sais pas ce qu'ils trafiquent.
- L'essentiel, c'est qu'ils trafiquent.
- Ouais. C'est tout rose.
- A l'attaque ! A l'attaque !
#164
Posté 11 novembre 2018 - 06:28
_ A l'attaque ! A l'attaque !
(c'est vite oublier les quartiers interdits de la République).
_ Chef, on peut pas y aller !
_ Et pourquoi on n'irait pas ?
_ Chef, sont pas gentils
_ Et pourquoi sont pas gentils ?
_ Je sais pas
_ Alors, on y va
_ Alors on y va, chef
Nadine et Olivier profitent de la haute concentration des deux policiers pour poursuivre leurs ébats. Ce qu'ils perçoivent du dialogue leur semble être l’acquiescement révolutionnaire des camarades. Ils sont sur la voie supra-hédonique de l'orgasme poético-bolchévique rose-jacobin. Mais tant et tant d'ardeur à l'ouvrage que... le rose vire au rouge. Franchit le rubis con. Rouge-queue, rouge-gorge, rouge-pivoine, rouge bolchevique, rouge-lie-de-vin. Tout est rouge. Vont tout faire exploser ! Quelle homélie !
Sauf que (vous me permettrez de ne pas faire de jeu de mots, ici, c'est grave) c'était vite oublier la calotte de l'archévique, rouge-cardinal. Car l'idiot de chef avait tout simplement oublié le jour de réunion de la Confrérie des Eviques de France.
_ Vite, rentrez vos enfants....
#165
Posté 11 novembre 2018 - 07:44
- Mais il ne faudrait pas qu'ils voient ces...
- Ces quoi ?
- Oui, au fait. C'est quoi ? Il est certain que l'entrée de l'immeuble est le théâtre de scènes troublantes. Mais l'orgasme révolutionnaire a magnifié les amants pour les confondre en un vaste tableau abstrait !
- Une installation, plutôt, non ?
- J'insiste : un tableau ! Même si les formes se déploient dans un espace tri - ou même quadridimensionnel, c'est un tableau qui nous est présenté ici. Avec toute la pensée de l'espace que quinze siècles de peinture ont engrangée, voyez ?
- Je vais en parler à Jean-Luc. Il pourra dire si c'est dans la ligne, votre délire, là.
- La ligne, oui, la ligne... C'est bien ça, la ligne...
A ce moment, nul ne semble avoir conscience de la colère de Dieu qui se concentre sur une portion d'espace qui n'est rien, peut-être, qu'un débris de parpaing.
#166
Posté 11 novembre 2018 - 08:36
Intermède musical
#167
Posté 12 novembre 2018 - 07:04
Jean-Luc se regarde dans le miroir du hall. Tout est encore rouge, suffocant de rouge, le sang lui-même est rouge. Les murs clinquetants sont rouges, l'ambiance est rouge, la respiration des choses, rouge. Objets inanimés avez-vous donc une âme enfiévrée ? Que tout déborde de rouge ! Tout. Sauf lui, Jean-Luc. Pâle comme un ange. Ses dents sont blanches. Son linge est blanc. Il boit du blanc. Parle d'une voix blanche. Gérard ayant fait sa reconversion a fini par le combler de bonheur. Il lui parle de son petit minou, son joli petit nœud blanc dans les cheveux. Un bonheur simple, sans trace, un cœur innocent. Pas un mot de trop, pas un débordement de graisse. A l'os. Cartilagineux. Ectoplasmique. Pour peu, ils (Jean-Luc et son p'tit bonheur ramassé en chemin) s'effaceraient du cadre.
_ Hé ho ! Molo ! Hein ! Noir c'est noir !
C'est Pierre qui exprime sa préférence depuis son atelier.
_ Le neutre clair sera la prochaine conquête, la blancheur la nouvelle héloïse, et le ciel la lutte finale, lui répond doucement Jean-Luc.
Dans un coin, Dieu et Roland conversent. Ils ne l'entendent pas exactement de la même oreille. Chacun compte bien garder SA chose. L'un le neutre, le plus tiéde et clair possible. Et l'autre, la pureté froide du ciel. C'est pourquoi le combat final se mènera entre eux deux. Dieu et Roland. Roland et Dieu. Roland est un doux, un pacifique. Fort est à craindre que Dieu, plus nerveux, colérique, gagnera. D'ors et déjà une stratégie s'impose.
_ Moi je sais, dit Pierre. Je suis le pion noir qui fera tomber le fou blanc !
Encore espiègle et perspicace pour son âge. Le trait est fin, presque piquant.
La diagonale astucieuse.
Devant le miroir Jean-Luc examine sa conscience.
_ C'est vrai que j'ai la ligne.
Il sourit. Son bonheur est radiant. Plus fort que solaire. Nucléaire.
Jean-Luc ne voit pas venir ses ennemis.
Pierre, Dieu, Roland. En plus de ce boulet d'Alexis... qui traîne la patte.
Et même Michel O qui ne compte pas se faire voler le vedettariat du solaire.
Encore moins Philippe, le seul qui soit vraiment solaire. C'est un drame.
Une tragédie s'annonce. Fabrice ne manquera pas d'accourir.
Comment, dans ces circonstances extrêmes, enfin trouver le temps de s'occuper vraiment de la chaussette trouée. Qui maintenant est sale, pourrie, immonde, en plus d'être à quelqu'un. Oubliés.
Le parpaing attendra son heure.
#168
Posté 12 novembre 2018 - 08:21
On en reparlera.
#169
Posté 12 novembre 2018 - 08:58
Nous en reparlerons. Ça me paraît normal.
#170
Posté 12 novembre 2018 - 09:12
En attendant...
#171
Posté 12 novembre 2018 - 09:19
#174
Posté 12 novembre 2018 - 02:38
#175
Posté 12 novembre 2018 - 07:17
L'est paraît un peu plus à l'est. L'ouest diverge carrément mais le nord et le sud sont enterrés. Il ne reste que deux des quatre points cardinaux mais Dieu (plus cornu sous le nom de Gneugneu) est optimiste. Avec Nadine, on peut composer un monde à sept dimensions (dont une principalement variable).
- Et encore !, rigole le vieux birbe dans sa barbe, pas sûr que ça lui suffise, à ma douairière...
- C'est qui qu't'appelles ma douairière, vieux cochon ? Tu veux que j'te balance ?
Gneugneu blêmit. Se retrouver affiché sur Titteur avec Jean-Luc et Alexis ? Les boules.
Son monde s'effondre. Des sept dimensions, il en reste deux qui ne coïncident pas avec la théorie de l'espace développée par la peinture européenne depuis la Renaissance.
- Ils ont dû se louper, ces bourrins. Léonard, viens ici !
Ce Léonard l'a toujours agacé avec sa grande barbe qui pourrait tromper le profane. Heureusement qu'il n'était pas très bon musicien, celui-là. Dieu n'attend pas Léonard. Il faut absolument qu'il vérifie que la belle et redoutable Nadigne ne l'a pas balancé sur les réseaux sociaux.
Léonard se présente donc dans le bureau de Gneugneu, nuage 18, pour poireauter. Il peste.
- J'ai que ça à faire, peut-être ? L'organisation paradisiaque, c'est un merdier sans nom. Je croyais qu'on me donnerait une trompette parce qu'enfant, je voulais jouer de la trompette. Mon père m'a dit : « Non, fils ! La musique militaire s'en trouverait grandement compliquée. » Mais arrivé ici, on me dit : « Ouiiiiii, vous compreneeeeez, en ce moment, on a tout ce qu'il faut pour la musique. Si vous voulez vous rendre utile, il y a ces parpaings à déplacer, là... »
Et, en effet, a proximité du bureau de Gneugneu, nuage 18, sont entreposés des séries de parpaing prêt à l'emploi.
Léonard demande (il n'a pas l'air mais, même au Paradis, c'est un cerveau, le gars) :
- Et ça se vend bien, ça, en ce moment ?
#176
Posté 12 novembre 2018 - 08:07
Léonard ne se laisse pas démonter. L'attente n'est pas un problème. Il échafaude des plans.
[ Je laisse l'est à Dieu pour le levant. L'ouest à Nadigne pour le couchant, la couchonne. Voilà pour la journée. Ensuite, je déterre le nord, j'en fais le ciel, le sommet. Je laisse le sud enterré, la base. Je monte 7 côtés, avec les parpaings, 7 dimensions, dont une variable (pour le plaisir de la couchonne) et hop ! vla mon heptaèdre concave, ma pyramide d'amour !
Ensuite, je monte des murs, des murs, des murs, hauts de 4 ou 5 mètres, tout le long des voies, ainsi plus d'en-face. J'enterre les à-côtés. J'enferme Dieu. Avant, je le torture pour qu'il me donne le code du jour et de la nuit. Je le grave (le code, pas dieu ! Dieu, je le tatoue !) au fronton de mon temple d'amour. Et hop ! À moi la couchonne ! L'est pas génial le Léonard ? !]
-
#177
Posté 12 novembre 2018 - 08:28
Il va avoir des problèmes.
Léonard est super-énervé. Il voit arriver ce type fringant, joli costume et tout. Toc, le gars sonne, on lui sert le thé. Puis c'est Nadigne qui vient lui faire la bise. Elle est très proche, Nadine, elle l'embrasse chaleureusement, le Stan.
Dans un coin, Léonard pleurniche.
- J'avais fait un homme avec huit bras, merde ! Ça compte pour rien, ça ?
https://youtu.be/G5ON3V6Ci5E
#178
Posté 13 novembre 2018 - 07:14
Léonard n'est pas du style a pleurnicher longtemps. Super-énervé, il tente de se ressaisir. Poursuit ses plans.
[ Pas facile, là... , la couchonne n'est pas encore dans ma pyramide ! Qu'est-ce qu'il a de plus que moi, hein, ce freluquet de Stan ? Parce qu'il a mis des couleurs criardes, il se croit en défilé de mode avec sa groupie ! Non. Non. Il n'est que chez Dieu. Où tout part du néant. Ce qui approche le plus le néant est le noir et le blanc. J'avais fait un homme, un vrai, bien proportionné, avec un sexe, des muscles, des cheveux, des mains, des pieds, 8 membres. De la chair, quoi ! Pas du vulgaire chiffon ignifugé et élastique. Un homme unique inscrit dans sa nudité et la perfection divine, face à l'imperfection matérialiste. Que mêmes les francs-ma n'avaient pensé à ça ! J'avais réussi cet exploit de l'absolu. C'était génial, hein, disciple ! Et vla que ce dandin arachnoïde efféminé et vulgaire de solitude vient me voler la vedette ! En plus de me chiper mes idées ! Évoluant dans un ciel de parpaings et de gratte-nuages. Voleur ! Plagieur ! S'il croit que je vais lui laisser la couchonne ! Faudra qu'il passe sur le corps de la Joconde, avant ! Ah ! mais ! ]
Là, il est à bout le Léonard.
Dieu qui sait tout, voit tout, entend tout.., entend les pensées de Léonard. Il le sait malheureux. Mais Dieu trouve tout, a toujours la solution. A toujours raison. Il appelle Pierre, le maître du noir, et Jean-Luc, devenu maître incontesté de la révolution blanche. On se croirait à Petrograd, en 17.
[ Je vais le prendre de vitesse, ce stan laurel ! Hardis, les gars, on vire au guindeau ! ]
Là-dessus, Léonard dérape de tout son long, Prend un parpaing en pleine figure. Il a gelé sur le nuage 18.
#180
Posté 13 novembre 2018 - 09:05
C'est un écho puissant et qui roule sur lui-même. On ne sait d'où il naît.
C'est peut-être un éclat de cette peinture noire dont Pierre a mélangé lui-même le pigment.
Las ! La peinture se sera corrompue en séchant. Elle aura pris des reflets roses, peut-être.
Mais la colère de Pierre et sourde et lumineuse. Le roulis de colère qui tombe sur le nuage 18 est plutôt boueux et noueux.
Jean-Luc est dans tous ses états. Installé sur les épaules de son assistant, il vocifère de rage. On l'aurait oublié ?
- L'Homme, c'est moi ! Moi ! Moi !
Léonard demande à être transféré au nuage Petrograd 17. Mais il n'y a personne pour prendre sa requête.
Tous ont les yeux rivés sur Jean-Luc et son assistant véhicule un peu essoufflé.