MÂLES DE MER
Nous étions trois sur le pont
Hirsutes par la brume saline
Fiers de précéder l’aurore
Nous jetions des filins parsemés d’hameçons
D’ici la terre est un océan
Si la lune est bonne amie
La moisson sera au bout de nos leurres
Vers de terre plantés en pleine mer
Amorces pour séduire l’hôte abusé
Nous satisferons les appétits d’inconnus
Ils nous rendront hommage en se délectant
Sans soucis de savoir si leur pourvoyeur
Rentrera au port demain
Nous étions trois des balafrés
Abimés d’embruns et de sommeils épars
Mes compagnons exhibent leurs cicatrices
Autant de médailles accrochées par des émerillons récalcitrants
D’autres ont été entraînés par les filets
Les mailles se sont mutées en lassos
Pour mieux saisir le voleur
Et l’enfermer dans sa poule aux poissons d’or
Certains ont suffoqué dans les flots
Avant qu’une main ne les raccroche au ciel
D’autres ont chuté dans les ténèbres
Entiers dans l’abîme
Nous étions trois la veille déjà
Dans une taverne qui nous a réuni
Chacun parlait de sa mer
En se noyant dans les liquides d’alcools
Pêcheur pécheur
Le patron voyait la vague ensevelir son bateau
Le second ravivait ses habits usés d’acidité
Quant à moi qui venais ici pour draguer d’autres fonds
Je me voyais prestigieux marin
Sur injonction de ce tanguant équipage
Je les accompagnai le lendemain
Nous étions trois mais ils étaient seuls
À observer si la messe allait me convertir
Si le pied terrien bois sans soif visage lisse
Pouvait succomber aux chants des sirènes
Qui s’éloignent à mesure où on les atteint
Comme l’océan qui ne sait rien des gouttes qui l’agencent
Le flibustier néglige son conglomérat de chairs
Il devient excroissance d’un bateau chaloupé
Brindille au vent
Marin en mer
Marcheur sur terre
Le même ballottement déséquilibré
Nous étions trois mais j’étais seul
Dans la houle à trouver repos
Les autres confiaient leur destin
Au va-et-vient incessant
Au grondement infini
À l’incertitude plate et déchaînée
À terre j’imaginais
Toute une vie à défier l’océan
Être humble et courageux
Être la vague qui vient s’échouer
Avant que le reflux ne la reprenne
Chaque jour aller sur mer et revenir en terre