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FARABAL

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Publications sur Toute La Poésie

Poètes confinés

22 juin 2020 - 10:36

" Eloge confiné ", à la manière de Saint-John Perse

 

          Calmes…

 

           j’aime le port altier de ma fille au balcon de colonnades blanches

 

          les calmes s’élèvent sur les frondaisons de l’arbre à pain et au delà

vers la mer, dans l’ombre c’est le noir de l’âme des pirogues gorgées d’eau,

ils brancardent les morts, les pas sont fiévreux et lents, et lents

 

          (nous étions confinés, eux, elle, nous. Seuls les chats chassaient les

rats dans les champs de canne désertés des négresses.)

 

          la poussière pourpre recouvre le vert des manguiers, la poussière

assèche la pluie, assèche la foi des hommes tournant leur regard en dedans

et leurs pas immobiles et la poussière lave…

 

          le gouverneur, seul, les blanchisseuses, et nos filles comme des joyaux

chamarrés dans l’écrin des cases et leurs robes

 

          (et les chevaux immobiles)

 

          Calmes... puis les regards altiers par dessus les masques et les pas se

croisent à distance et arpentent la mort dans le champ rond des oraisons

 

          au loin les coraux figés figent les vagues

 

          je parle depuis le silence

                    et la tête des chevaux.

Poètes confinés

18 juin 2020 - 10:40

" L'oiseau confiné ", à la manière de Jacques Prévert

 

                                        (pour ma plus jeune fille...)

 

Ils ont confiné l’oiseau

Et l’oiseau ne chantait plus,

Ils ont confiné l’enfant

Et l’enfant ne chantait plus.

 

Et voici le père qui travaille

La mère qui fait la cuisine

L’oiseau s’ennuie, l’enfant baille,

Tout le monde fait grise mine…

 

Mais voilà qu’un nuage passe

Il prend l’oiseau sur son dos

Qui prend l’enfant dans ses ailes

Tous trois s’envolent vers le ciel

 

De tout là-haut on devine

La maison près de l’école

Qui s’étiole et décline

Au milieu de l’herbe folle

 

Mais le père se met en colère

Et la mère avec le père :

« – Où sont-ils donc passés ? »

« – Mais que font-ils donc ? »

 

Alors l’oiseau s’affole

      L’enfant trébuche

            Le nuage pleut.

 

                  Il pleut de l’eau de larmes,

 

Et la mer peu à peu monte

      La mer emporte le père

            La mer emporte la mère

                  La maison, la rue, l’école...

 

                               Et tout se met à flotter

                                                                                 Perdu entre ciel et mer

Et l’oiseau se met à chanter

                                                            Dans la lumière de l’arc-en-ciel

Poètes confinés

13 juin 2020 - 08:08

" Lou confinée ", hommage à Guillaume Apollinaire

 

Je t’adore mon Lou, confinée aux Ardennes

Nous, nous sommes dans nos cases-trous

A Nîmes - parqués aux arènes

Sur l’échiquier je suis le cheval-fou

 

Chaque mètre qui nous sépare

Fait mille fois le tour de la Terre

Mais je les franchirai dare-dare

En brandissant mon cimeterre

 

Lou, je saccagerai l’éternité.

Je trancherai le fil de chaque étoile

Pour le renouer à l’extrémité

De chacun de tes cheveux

 

Tu prendras l’essor de la comète

Et j’enfourcherai ta croupe folle

Nous sillonnerons le ciel - d’une traite

J’en darderai de mes rayons la corolle

 

La voie lactée rejaillira de ton sein

Qui ensemencera le ciel enfin lavé

Ce nouvel univers sera le tien

Et je sais que je serai sauvé

 

La sale guerre c’est eux

Ma seule guerre c’est toi

Confiné dans le soir

             noir

                     j’ai froid

 

Adorée Lou, je m’enroule

Dans tes cheveux.

Poètes confinés

11 juin 2020 - 09:31

" Un confiné au nez finaud ", d'après Robert Desnos

 

Un confiné au nez finaud

Qui s’en est allé,

Qui s’en est allé,

 

Peu avant qu’on lui dise « no ! »

Qu’il était malin,

Qu’il était malin,

 

Il s’en alla par le train

De huit heure vingt-sept,

De huit heure vingt-sept,

 

Bientôt arrivé à Sète

Mais que faites-vous là ?

Mais que faites-vous là ?

 

Et pourquoi « no ! » ?

 

Poètes confinés

06 juin 2020 - 06:26

" Spleen du confiné ", hommage à Charles Baudelaire

 

Quand de longues nuées d’invisibles miasmes

S’étalent sur les villes aux méandres profonds,

Laissant dans leur sillage un horrible marasme

Ronger le cœur des hommes reclus dans leurs bas-fonds ;

 

Quand sur la terre entière les peuples confinés

De morceaux de tissus font de vains boucliers

Et que leurs rois maudits les ont abandonnés

Egrenant les grains de morbides sabliers ;

 

Le poète qui naguère voguait auprès des dieux

Soudain se voit sommé de répondre pour eux

Tel un antique augure que le destin rappelle.

 

Et comme la chouette au linteau de l’étable,

Il chuinte dans le noir pour conjurer le diable,

Seul, écartelé, un clou planté dans chaque aile.