- Bon d'accord.
Visage d'encre dans la pénombre de la ruelle, tandis que le vent agitait doucement, par-dessus le haut mur, d'un sureau les ombelles, l'homme au costume sombre rangea son téléphone portable et partit, ombre souple, peu gesticulante, vers l'avenue tuméfiée de soleil.
Quelque part sous les premiers marronniers, leurs branches gorgées de bleu, la voix rauque d'une femme chantait dans une radio au milieu des bouquets posés sur le sol et des plantes en pots proposés par quelques vendeurs sur une large moitié du trottoir.
Mais, c'est après cet étalage floral que l'homme au costume sombre se baissa soudainement pour ramasser la sébile vide d'un mendiant posté là.
- Hé! Mais il a rien compris, le péquin! grommela le déshérité, la soucoupe en bois, c'est pour recevoir les aumônes, les pépètes quoi! Pas pour être piquée! Voler les pauvres! Mais n'importe quoi, là!
Cependant l'individu sombrement costumé s'éloignait d'un pas tranquille, traversait les flaques dorées, passait devant les remparts où se produisaient contorsionnistes-cracheurs de feu et costauds en tricot de corps jonglant avec quelques haltères, pour finalement gagner l'entrée d'un bistrot où l'après-midi remuait sourdement.
Brouhaha rocailleux et voluté ,d'abord, et puis adossé contre le bar, assis sur un haut tabouret, un jeune ivrogne, chemise ouverte sur un début de bedaine, grattait une guitare, dont il tirait par intervalles une note à agacer les mâchoires, frappant le bois de l'instrument comme un tambourin. Et de psalmodier, l'énergumène, incessamment: " Allumer-er-er le feu! Allumer-er-er-er le feu!"
Le sombrement costumé fit rapidement le tour des tables, présentant la sébile dans laquelle chacun jetait, l'air ailleurs, billets en vrac ou en liasses; puis,il alla se camper devant le guitariste.
Lequel venait d'attaquer un jambon-beurre, tout en continuant à chanter: "Allumiam - miam-miam..."mais s étonna soudain:
- C'est pour moi tout ce fric?... Allumiam-miam-miam-miam...
- En quelque sorte intervint l'homme, en sortant son walter PPK, mais cette fois c'est le feu qui va t'allumer, mon bonhomme: je suis l'agent K.49, mondialement réputé pour ses compétences de tueur professionnel et j'agis au nom des clients habituels de ce bar, excédés.
- Que? Quoi? cria le guitariste en déglutissant à toute vitesse- gloups!- Allumer-er-er...
- Plop! Plop! fit le pétard, équipé, comme on s'en serait douté, d'un réducteur de son.
- Dzoiiiiiing! fit la guitare en morflant la première.
- Orgue! fit le musicien en prenant le second pruneau et glissant vers le sol recouvert de sciure.
- On n'a rien vu! fit le patron occupé à servir une tournée générale.
Le type en costume fourra les billets dans toutes ses poches, et ramassa le reste du jambon-beurre.
Sur le chemin du retour, il lança au mendiant la sébile emplie du quignon enveloppé d'un billet de cent euros.
- Hé! une location de sébile c'est au moins un jambon-beurre entier, merde! grommela le SDF.
Mais l'homme en sombre costume était déjà loin, prêt à tourner au bout de l'avenue, pressé de rejoindre l'ombre fraîche de la ruelle, dans laquelle se tenait en embuscade l'homme qui venait de se faire greffer des yeux de loup:
- Hé ben! Dis donc! C'est pas trop tôt! saliva ce dernier à voix basse, cette mission a été bien longue! Je me demandais si le K49, là, n'avait pas été lançé dans un véritable roman! Mais, hin! hin! hin!, c'est moi qui aurai le dernier mot!