Le Devoir, 15 mai par Isabelle Paré
Des enfants qui assimilent l’alphabet sur des tablettes, des adultes qui n’écrivent plus que des listes d’épicerie, et un monde qui réagit à coups d’émoticônes et de textos… C’est pour s’offrir une pause des claviers et de l’instantanéité des réseaux sociaux que la Ville Lumière tient demain la journée «Paris’écrit» (lire «Paris s’écrit»). Une invitation à renouer avec la forme manuscrite, ce temps long de l’écriture qui permet à la lettre de se draper de la griffe de celui qui tient la plume.
Mercredi, dans plus de 200 lieux de la Ville Lumière, dont 32 bibliothèques, 41 bureaux de poste et cinq musées, les Parisiens sont invités à quitter leur tourbillon journalier le temps de prendre la plume. C’est à l’invitation de l’idéateur du mouvement «Nuit blanche», Christophe Girard, devenu maire adjoint à la culture de la Mairie de Paris, que l’éternelle ville, muse d’écrivains comme Hugo, Baudelaire, Prévert et consorts, se mettra à l’heure des mines, bic, feutres et stylets en tous genres de plus en plus boudés en cette ère numérique.
«Ce n’est pas un événement contre les réseaux sociaux. Ce n’est pas du tout antinomique, mais plutôt une invitation à retrouver le chemin d’un art important », insiste Christophe Girard, rencontré à Montréal la semaine dernière, où il était venu discuter d’échanges culturels et de francophonie avec la métropole québécoise.
Ce vieux routier de la culture, à l’origine du mouvement mondial des «Nuit blanche» lancé à Paris en 2002, veut que ce coup de pub pour l’écriture manuscrite ne soit pas vu comme un élan nostalgique du temps passé. Il y a dans l’écriture graphique, «autre forme de communication, plus personnelle, un acte d’engagement», soutient le nouveau héraut de la culture, qui espère que le mouvement deviendra viral dans plusieurs métropoles du monde, dont Montréal. «Entre texter une émoticône et épancher son humeur mot à mot sur papier, il y a tout un monde que plusieurs occultent en notre époque», poursuit Girard.
Une main tendue
Plus qu’une fête de l’écriture, la manifestation se veut aussi une main tendue vers l’autre en cette époque de tensions et de divisions. Un temps redonné au partage, insiste Girard. «Recevoir une lettre, c’est aussi un service social important pour des personnes comme les gens âgés, pour qui la visite du facteur est souvent le seul contact régulier», rappelle-t-il. Les bureaux de poste de Paris seront d’ailleurs associés à ce rendez-vous épistolaire en offrant au public des cartes postales, alors qu’un timbre «Paris’écrit» sera émis pour l’occasion.
Rituel, témoignage, artefact, offrande: autant de qualités que la Ville de Paris veut redonner à la missive, cachetée dans une enveloppe. Les villes sont aujourd’hui devenues le théâtre de foules, yeux tournés vers le sol, mains agitées sur de microclaviers, affirme Girard. «Le manuscrit c’est merveilleux, c’est prendre le temps de s’exprimer aux autres. On n’efface pas une lettre qu’on envoie. Au contraire d’un texto, on ne peut envoyer une lettre par erreur. Écrire une lettre, c’est devenu presque un acte de courage, c’est un appel à la réflexion.»
Pour souligner la beauté du geste, plus de 1300 élèves griffonneront le 15mai le récit de leur ascension du plus haut point de Paris, à l’occasion des 130ans de la tour Eiffel. «Ça nous changera de l’égoportrait!» laisse tomber le titulaire de la culture, qui rêve de voir naître un «Montréal’écrit». «Paris’écrit, c’est aussi un cri du coeur pour la défense de la langue française et, à ce titre, je trouve que Montréal, que le Québec en général, fait beaucoup mieux que la France.»
Mal de lettre
Cette ode aux plumes et au papier survient alors que l’écriture manuscrite, notamment sous la forme cursive, diminue de jour en jour avec l’adoption des tablettes et autres claviers dans les écoles. Selon une étude réalisée auprès d’élèves par des chercheurs en persévérance scolaire et en littératie, l’adoption au Québec de l’écriture script (en lettres détachées) en première année, suivie ensuite de celle de l’écriture cursive en 2e et 3eannées, a des effets délétères à plusieurs chefs. En 4e année, pas plus de 15% des élèves ont recours à l’écriture cursive, et seulement 7 à 8% en 5 eannée. Or, en plus de limiter les habiletés motrices des enfants, l’abandon de l’écriture cursive plomberait les performances scolaires. Plus encore, les élèves exposés à la double graphie seraient moins compétents en syntaxe et en orthographe que ceux qui n’ont appris que l’écriture cursive.
On pose d’ailleurs le même constat partout dans le monde, notamment en Allemagne, où une étude menée auprès de 2000 élèves constate que ces derniers écrivent de plus en plus lentement et péniblement à la main. Dans 45 des États américains et en Finlande, où l’apprentissage de l’écriture cursive a été abandonné au milieu des années 2010, certaines écoles sont depuis revenues sur leur décision.
Mais selon le magazine Slate, le déclin de l’écriture manuscrite n’est pas que la faute aux claviers et aux instruments de l’ère numérique. La perte de vitesse du crayon a été constatée dès les années 1960, plusieurs années après l’arrivée des machines à écrire et bien avant celle des ordinateurs personnel!
Au temps
De l'innocence
L'écriture dansait
Par les nuits pulpeuses
Un tango voluptueux
Avec les étoiles
Et la poésie projetait
Ses frissons lumineux
Sur l'écran espiègle
De mon enfance
Et tu es venue
Cristallisant mes désirs
Saupoudrant
Ma vie abracadabrante
De flocons d'amour
Et alors, je n'écrivais plus
Je vivais
Et tu es partie
Avec tes balivernes
Lactescentes
Et depuis
J'ai repris l'écriture
Avec les poings fermés
Frappant sur mon clavier
Chignant à douleur allongée
En crachant ton nom
Dans mon encrier
J'écris des mots atrabiles
Imbibés d'amertume
Qui ont trop souvent
L'écho ferreux
De la haine
Mais un jour
Je t'écrirai
Avec une plume d'ange
Une lettre toute en tristesse
Qui peut-être
Saura t'émouvoir
Et j'écrirai
Alors comme un fou
Des lettres immenses
Comme la Tour Eiffel
Sans jamais m'arrêter
Et toi seule pourras
Me comprendre
Contemplant une forêt
De pêchers roses
Où je serai cacher
À écrire les fruits
Les plus juteux