Pascal Bruckner, Grasset, Paris, 2019, 256 pages
Lecture de Sébastien Vincent
Le Devoir, le 26 octobre 2019
Voici un essai qui est doux et qui fait du bien. Dans cette « autobiographie intellectuelle autant que manifeste », le philosophe français Pascal Bruckner propose une stimulante et soulageante réflexion autour du temps long de la vie. En convoquant Anciens et Modernes, l’auteur notamment de L’euphorie perpétuelle« envisage cette période médiane, au-delà de 50 ans, où l’on n’est ni jeune ni vieux, mais toujours habité d’appétits foisonnants ». C’est « l’été indien » de l’existence. Le défi : savoir ce qu’on en fera.
De tout temps, des conventions ont marqué les âges. En citant Stefan Zweig, Bruckner rappelle qu’au XIXe siècle, « être jeune constituait une entrave à toutes les carrières ». Depuis la Grande Guerre, faucheuse d’une génération, puis Mai 68, la jeunesse est devenue vertu cardinale. La médecine aidant, la vie offre désormais un sursis de 20 à 30 années par rapport au début du XXe siècle. Une génération ! La cinquantaine arrivée, période située « entre la grâce et l’effondrement », la question surgit : comment faire fructifier cette « moisson de jours supplémentaires » ?
Ce sursis se veut angoissant et passionnant. Bruckner n’est pas dupe : « Ce n’est pas la vie que la médecine et le progrès scientifique prolongent, c’est la vieillesse. » Un cadeau potentiellement empoisonné avec ses maladies et la démence. Partagé entre « l’épouvante de la décrépitude et l’espérance folle d’un miracle », on admet que « prendre de l’âge n’est tolérable que si l’on reste décent de corps et d’esprit ».
Beaucoup « souhaitent aujourd'hui s’affranchir et profiter de ce moratoire entre maturité et vieillesse pour réinventer un nouvel art de vivre », soutient l’auteur, lui-même septuagénaire. Bruckner invite à s’accomplir dans le quotidien, voire dans le travail. Il propose de se dépasser de multiples manières, en entretenant, par exemple, l’esprit d’exploration et de révélation, en se remettant à la connaissance, en exploitant les aspirations passées et la rétrospection pour rebondir.
Bruckner prône aussi le maintien du goût des plaisirs et du monde. Appréhender ce dernier comme si c’était la première fois, c’est peut-être faire place à la passion et, oui, à l’égarement des sens, à condition, bien sûr, « de faire preuve d’élégance dans la proposition […]. L’appétence charnelle, à cette altitude, doit rester discrète »… Ainsi, à l’automne de la vie, tout n’est plus possible. Il importe cependant de demeurer mobile, la conscience ouverte, « même si le champ des virtualités s’amenuise chaque jour ».
Cet excellent essai propose de tendre vers une vie épanouie, plutôt que réussie, car le concept de réussite « a ceci de gênant qu’il semble clore la recherche puisque l’état le plus désirable a été atteint ». Par une chance inouïe, il est aujourd'hui possible d’y œuvrer plus longuement. Tant que l’on aime et que l’on crée, nous vivons une brève éternité, la seule qui nous est permise. Rien d’autre ne nous est dû. Aussi bien l’habiter pleinement jusqu'à la chute finale, inéluctable.
JE SUIS UN VIEUX FOU
Je gribouille
Tel que je suis
Vieux fou
Sous les étoiles
Je gourgousse
Un chant de gorge
Que la vie m'a gossé
Ainsi, je m'encharogne
Dans l'amer café du matin
Je suis roupailleux
Que voulez-vous?
J'aime les bébelles
Et les imbéciles
Aux oreilles d'or
Mais d'abord
Faut que je m'grouille
Sans dévaler
Et que je me recrache
Sans m'avaler
Je ne vais pas m'écrapoutir
Je vous le jure
Ces échouritures
Ne sont faites
Que pour les pourris
Et leurs pourrissons
Mais quand on me fait
Bidi bidi
Je continue
À me bercer
Je vous l'ai dit?
Je suis fait ainsi
Et drette-là
Je vais vous l'dire
Avec ma maudite
Tête de cochon
Personne ne me dira
Quoi faire...
Je persiste et je signe
Le vieux fou