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Zegel

Posté par Cyraknow, dans prosodie et formes poétiques 12 juin 2020 · 4 810 visite(s)

zegel prosodie poésie arabe
Dans mon exploration des diverses formes classiques, je viens de m'attaquer aux formes moins usitées.
Certaines sont d'origine étrangère, comme le zegel, d'autres des formes fixes créées plus récemment, telle la gérardine ou la schaltinienne.
En tout cas, toutes sont passionnantes.
Voici un zegel que j'ai publié hier: http://www.toutelapo...oquelicot-joli/  
 
Le zegel est dérivé du zadjal, un poème, à l'origine uniquement en arabe dialectal, importé par les maures en Espagne lors de leur occupation. Son nom vient du verbe "zadjala", "émouvoir".  Ibn Quzman, un poète andalou originaire de Cordoue, en fut le plus digne représentant en Espagne, et chanta les femmes, l'amour, le vin, la nature... Je dis "chanté", car le zadjal, normalement, se chante (tout au moins en arabe, pas nécessairement en espagnol)
On dit qu'il fut inventé au XIème ou XIIème siècle, en arabe. Il passa au castillan au cours du XIVème siècle. A partir de ce moment, les chanteurs de zadjal furent considérés en Espagne comme l'équivalent ibérique des troubadours.
 
La base de l'un comme de l'autre, ce sont ces quatrains composés d'un tercet monorime (AAA) et d'une rime du genre opposé en vers 4 (B )
A chaque quatrain, le tercet monorime peut changer de rime, mais tous les tercets doivent être du même genre. Au vers vers 4 de chaque quatrain, la rime B revient, et est du genre opposé aux autres.
Cela donne, en admettant que B soit masculine: AfAfAfBm  CfCfCfBm  DfDfDfBm... etc.
Ce n'est pas une forme fixe, en ce que le nombre de quatrains n'est pas limité.
 
Certains pisse-vinaigres vous diront que B est forcément masculine ou que le nombre de quatrains est limité à quatre, mais c'est seulement des racontars dus au fait qu'il y en eut de tels au départ... mais ces façons de faire ne furent jamais des obligations.
Coquelicot joli, par exemple (mon zegel d'hier), comporte pas moins de 7 quatrains!
 
Les mètres les plus courants sont les vers octosyllabes et les décasyllabes, quoique l'on fasse aussi appel à l'alexandrin.
Seuls les vers impairs ne semblent pas utilisés.
 
La seule différence entre le zadjal et le zegel réside dans un distique introductif au début du zadjal, avec le même mètre que les autres vers et dans la rime B, ce qui donne BB  AAAB  CCCB  DDDB... Celui-ci amène le sujet du poème.
 
Dans Le fou d'Elsa, Aragon en a fait une adaptation, en y ajoutant un vers refrain. toutefois, comme souvent chez Aragon, les rimes sont orales, ce qui fait qu'il y a parfois des tercet mêlant masculin et féminin ou singulier et pluriel. Aragon, quoique excellent classiciste, n'était pas toujours très à-cheval sur sa prosodie. 
Voici, suivi de l'interprétation magnifique de Ferrat:
 
Le vrai Zadjal d’en mourir

Ô mon jardin d’eau fraîche et d’ombre
Ma danse d’être mon cœur sombre
Mon ciel des étoiles sans nombre
Ma barque au loin douce à ramer

Heureux celui qui meurt d’aimer

Qu’à d’autres soit finir amer
Comme l’oiseau se fait chimère
Et s’en va le fleuve à la mer
Ou le temps se part en fumée

Heureux celui qui meurt d’aimer

Heureux celui qui devient sourd
Au chant s’il n’est de son amour
Aveugle au jour d’après son jour
Ses yeux sur toi seule fermés

Heureux celui qui meurt d’aimer

D’aimer si fort ses lèvres closes
Qu’il n’est besoin de nulle chose
Hormis le souvenir des roses
A jamais de toi parfumées

Heureux celui qui meurt d’aimer

Celui qui meurt même à douleur
A qui sans toi le monde est leurre
Et n’en retient que tes couleurs
Il lui suffit qu’il t’ait nommée

Heureux celui qui meurt d’aimer

Mon enfant dit-il ma chère âme
Le temps de te connaître ô femme
L’éternité n’est qu’une pâme
Au feu dont je suis consumé

Heureux celui qui meurt d’aimer

Il a dit ô femme et qu’il taise
Le nom qui ressemble à la braise
A la bouche rouge à la fraise
A jamais dans ses dents formée

Heureux celui qui meurt d’aimer

Il a dit ô femme et s’achève
Ainsi la vie ainsi le rêve
Et soit sur la place de grève
Ou dans le lit accoutumé

Heureux celui qui meurt d’aimer

 
Jeunes amants vous dont c'est l'âge
Entrer la ronde et le voyage
Fou s'épargnant qui se croit sage
Criez à qui vous veut blâmer
 
Heureux celui qui meurt d'aimer
 

 
 
Bonne lecture!
 



Merci pour toutes ces explications... (Je n'avais jamais entendu parler de ces deux formes poétiques - et je pense pas être le seul dans ce cas! Il faudra qu'un de ce jours je m'y essaie...)

Merci à ton comm' d'avoir inspiré l'article.

Ce sont des formes très intéressantes à écrire, dont le son est extrêmement agréable, en raison de ce vers B qui revient. Tu devrais t'y essayer... pourquoi pas?

Merci pour ce magnifique poème et pour ces explications que j'ignore complètement

Encore une fois bonne journée

Amitié

Hormis le zadjal, je dois avouer ne pas connaître grand-chose à la poésie de langue arabe non plus. 

Par contre, je suis une grande admiratrice du poète touareg contemporain Hawad. Ce qu'il écrit est empreint d'une sensibilité extraordinaire.

Merci à toi de ton attentive lecture.

Quelle chance de pouvoir se cultiver ainsi ! Merci !

 

Et pour ce qui est d'Aragon, c'est toujours un régal de le lire, et quand il est chanté par Jean Ferrat, l'écouter est un vrai délice...:-)

Merci à toi, Laurence, de ta lecture de mes modestes explications prosodiques (celle sur le pantoum sera en ligne demain).

 

Pour écouter Aragon, en effet, qui de mieux que Ferrat... hormis, peut-être (ça reste à départager), Ferré, dont les interprétations de L'Affiche Rouge , Il n'aurait fallu, ou Je t'aime tant sont devenues des classiques.

C'est beau. C'est du Cyraknow.

Merci à toi d'être passé me lire, ainsi que de ton élogieux commentaire, Julien.

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