
Anglicisation du français
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Bien sûr, on vous dira: une langue s'enrichit de mots nouveaux, mais ne perd pas ce qu'elle est!
Cela est faux dans la mesure où le mot étranger devient le mot de référence et le mot préféré à l'usage. Dire "pull over", voire "pull", a quasiment fait disparaître "chandail" ! Il y en a tant, des exemples: "manger un snack" a pris le pas sur "grignoter", CD (compact disc) aurait très bien pu se dire DC (disque compact)... etc, etc.
Les plus hypocrites vous diront que les mots anglais employés font le plus souvent référence aux nouvelles technologies, et que les mots créées en anglais pour les désigner sont plus courts, plus rapides, que leurs équivalences francophones. Mais est-ce si sûr?
"courriel" n'est pas plus long à dire que "email", "software" à peine plus court que "logiciel", "PC" (personal computer) identique à "ordi" (ordinateur). "Computer" est un mot qui est même obsolète, puisqu'il signifie "calculateur", ce qui était la fonction primitive de l'instrument, mais a depuis longtemps cessé d'être son unique vocation! C'est en anglais qu'il faudrait trouver un mot nouveau!
Il en est un qui a le don de m'exaspérer: "malware", formé de l'adjectif français "mal" et du suffixe "-ware", tiré de "software" (logiciel). Création française pour désigner un logiciel malveillant qui vous pourrit votre ordinateur (virus etc). Quitte à créer un mot auparavant inexistant, pourquoi pas "maliciel" (mal + fin de logiciel) qui peut, en plus, en se rapprochant de "malice", donner l'idée de "l'intelligence" de ce type de logiciel, qui sait cibler tel ou tel programme de l'ordi.
Toutefois, cet argument des technologies nouvelles est fallacieux, puisque cela envahit toutes les couches de la société, dans toutes ses activités.
Je veux bien comprendre le fait de maintenir le mot anglais pour une chose créée dans un pays anglophone, si la traduction serait ridicule ou prêterait à confusion, comme c'est le cas pour ces films "western", dont la traduction est tout bêtement "occidental" (qui se rapporte à l'ouest), terme employé couramment mais différemment.
Mais aller jusqu'à substituer des mots existants d'emploi jusqu'ici courant et admis, pour d'autres souvent incompris, mal prononcés, et qui veulent dans la plupart des cas dire exactement la même chose? A quoi ça rime?
Voyez le cas de "style" /stil/, mot français, qui a transité par l'anglais, avant de nous revenir sous la même forme, mais prononcé /staïl/ comme en anglais, pour faire mieux. Pourtant, à la base... c'est bien un mot français!
Autre argument, auquel je ne peux qu'acquiescer: oui, en langue anglaise la moyenne des mots est de deux syllabes, soit plus courte que le français. Mais n'est-il pas malheureux de réaliser que cet argument relève de la simple paresse: ça écorche à certains la bouche de dire un mot de trois syllabes, là où l'on peut n'en dire que deux!!
exemple: par / king = 2 syllabes , mais parc / au / to = 3. Toutefois, "parking" est incorrect, puisque les mots en ING réfèrent à des activités ( gérondif à fonction d'adjectif, pour les puristes), et il faut donc adjoindre un nom commun, car un adjectif ne saurait être employé seul, en anglais. Donc "parking space" (1 emplacement) / "parking lot" (tout le parking) font chacun 3 syllabes, comme la traduction française.
Ou encore "ice-cream" (trois syllabes écrites, deux orales) à la place de "glaces" (deux écrites, une seule orale).
Il n'est donc pas toujours vrai que l'anglais soit plus court.
De plus, les français ont tendance à employer n'importe comment des mots dont ils ignorent le sens et la prononciation.
Le plus idiot? Sans doute "sweat", première syllabe de "sweatshirt", qui employée seule signifie "sueur", puisque ce tissu épais, absorbant, a au départ été créé pour les sportifs, pour se couvrir après l'effort, quand ils suent, pour éviter de se refroidir trop vite et de prendre un coup de froid. Dire donc que l'on porte "de la sueur" sur le dos est bien peu ragoûtant et attrayant.
Mais plus idiot encore... ce même mot "sweat" est souvent prononcé "swite" /'swi:t/ au lieu de "swète" /swet/ , alors que ce mot-là, "sweet", existe et signifie "bonbon, sucrerie, douceur". Vous portez souvent des bonbons sur le dos, vous?
Cela devient carrément ridicule, comme dans le cas du journaliste qui, d'un ton sérieux, au journal de vingt heures, avait annoncé qu'il "s'agit d'un challenge, voire même un défi", pléonasmant ici en direct. Traduction de "challenge"? "Défi" !
Ou encore ces nombreux autres, à commencer par Nagui, qui font des "direct live", pléonasmant à qui mieux mieux, car ils font ainsi du "direct en direct"!
Oui, oui, je sais, je pousse un coup de gueule. Il se trouve que, bilingue de naissance, je suis à la fois américaine, anglaise et française, que je parle les deux langues, voire trois, si l'on accepte l'américain comme une autre version de l'anglais. Je parle même deux langues de plus, espagnol et langue des signes. Toutefois... je n'en parle qu'une à la fois, essayant de donner à chacune sa pleine mesure et sa pleine valeur.
Ce qui a déclenché ce coup de gueule envers un problème maintes fois rabâché? Une courte vidéo d'un traducteur français / anglais, qui mentionnait que, puisque la langue anglaise n'avait injecté que (environ) 10% de mots dans notre langue, on pouvait difficilement parler d'envahissement.
Il faut noter que cet envahissement s'accélère exponentiellement, en grande partie parce qu'il n'y a pas de volonté de l'Etat de limiter la casse.
Le traducteur faisait remarquer que vendre en anglais fait vendre plus, d'où la déferlante de slogans en anglais dans les publicités.
Mais si l'Etat décrétait que toutes les pubs, aussi bien télévisuelles que papier, devaient donner leur slogan en français, il n'y aurait plus cette compétition du "vendre plus dans une langue étrangère", puisque chacun serait logé à la même enseigne du français.
Est-ce vraiment plus "cool", plus "trendy", de dire "Nescafé: What else?" pour vendre un café, plutôt que "Quoi d'autre que Nescafé?", ou encore "Nescafé: le seul, l'unique". ? Et est-il plus "trendy" de dire "trendy", justement, que "tendance" ? (deux syllabes dans chaque cas, la longueur invoquée n'est donc pas un facteur ici).
L'appauvrissement est en conséquence, en particulier parmi les jeunes. Tout le monde connaissait le sens de "What else?" dans ma classe de 4e, mais personne n'a su trouver un équivalent en français!
Afin de continuer à parler le français, une langue réputée de tous comme étant l'une des plus belles, ne vaudrait-il pas mieux employer des mots qui existent déjà chez nous et désignent les mêmes choses?
Est-ce vraiment si vieux jeu de ma part de préférer "me couper du monde, me ressourcer" plutôt que de "faire un break" (mal traduit en soi, puisqu'en anglais, on prend un break = to take a break). Peut-on m'en vouloir, hormis ma nutritionniste qui me fera des reproches, si je "grignote" au lieu de "snacker", et que j'aime prendre "l'apéro" sur la terrasse, plutôt que le "happy hour", qui signifie "heure joyeuse" et invoque donc la griserie, dès le début de la soirée? Qui dit prendre l'apéro ne dit pas forcément être gris ou se mettre noir!
Pour en finir avec ce mélancolique coup de gueule, voici le lien vers un poème que Dragon Dé-Bridé m'avait mis au défi d'écrire, il y a ... oh, un certain temps déjà ! Il s'agissait d'écrire un sonnet stricto sensu, dans les règles de l'art, en faisant attention aux élisions, hiatus, schéma de rimes, alternances masculines / féminines etc, mais en intégrant à chaque vers un mot ou une expression anglais couramment employé en français. Un poème franglais, quoi.
En trois ans, je n'avais pas trouvé la manière d'aborder le sujet, sans doute justement parce que je me plais à parler une langue à la fois, sans faire de franglais ou de franglish (mots français employés en parlant anglais). Mais ça y est!
Il peut se lire ici: http://www.toutelapoesie.com/salons/topic/77129-fantaisie-franglaise-a-dragon-debride/
On pourra dire, Dragon, que tu m'as bien fait bosser!
- Esterina, M. de Saint-Michel et FlorentM aiment ceci